Mots pour MO – Thierry Barnerat : « La périodisation tactique est une étape obligatoire »

La crise du Covid-19 et les conséquences du confinement ont obligés bon nombre d’entraineurs à revoir leurs méthodes de travail et d’entraînement afin de proposer à leurs gardiens des exercices à réaliser à distance. Mais cette période est aussi l’occasion de repenser l’entraînement du gardien dans sa globalité. Ainsi, aux dominantes physiques et techniques s’ajoute à présent une dimension tactique que le football et le poste de gardien de but en particulier ne peuvent désormais plus ignorer.

Thierry Barnerat, instructeur FIFA pour les gardiens de but à l’origine d´une nouvelle approche, la périodisation tactique gardien, nous explique les raisons de cette évolution et son impact sur les séances d’entraînement au quotidien.

MO : Bonjour Thierry, pourquoi une nouvelle approche du poste de gardien ?

TB : Le football évolue chaque jour, le rôle du gardien aussi. Quand vous observez l’évolution du jeu aux pieds du gardien de but depuis la modification des règles en 1993, elle s’est réalisée en plusieurs étapes. Le gardien était en relais fixe, puis il a commencé à se déplacer de 5 – 6 mètres pour être aujourd’hui un joueur à part entière quand son équipe est en possession du ballon. Il est donc essentiel d’adapter les méthodes d’entraînement à ces évolutions pour améliorer la performance de nos gardiens.

La condition physique a toujours été un axe de développement pour les entraîneurs de gardiens à l’image de séance portant l’accent sur une multitude de frappes analytiques, de frappes annoncées. Il est normal qu’un entraîneur de gardien reproduise ce qu’il a réalisé en tant qu’athlète. Il ne faut pas oublier que la formation des entraîneurs des gardiens a débuté il y a 15 ans à peine et n’est donc encore que dans ses prémices.

La première idée qui nous vient à l’esprit quand nous parlons de gardiens, de performance, est celle de parades spectaculaires, mais avant le départ du ballon il y a un monde, un univers que l’on nomme, prénomme : l’aspect tactique.

MO : Comment définir l’aspect tactique du gardien de but ?

TB : Nous sommes obligés de parler de philosophie, mais pas celle du Baron Pierre de Coubertin qui nous disait que « Le sport va chercher la peur pour la dominer, la fatigue pour en triompher, la difficulté pour la vaincre ».

Parler de philosophie au sein du football et de l’univers du gardien de but revient à définir une structure de pensée, de réflexion faisant référence au jeu, à l’action. Le gardien, défensivement, défend soit son but comme sur une frappe, un duel 1 contre 1, un centre en retrait car il défend une nouvelle ligne de but qui est perpendiculaire à celle de sa ligne de but, soit une zone comme sur un ballon aérien ou sur un ballon dans la profondeur. Offensivement, soit son équipe à le ballon et à cet instant le gardien pose son maillot de gardien pour revêtir le maillot d’un joueur afin de lire le jeu (espaces, temps de passe, angle et rythme de passe), soit il effectue une balle arrêtée, soit il réalise une transition défensive-offensive en récupérant le ballon et le relançant à la main ou au pied.

MO : Quels sont les mots clés pour définir l’aspect tactique spécifique quand nous défendons soit notre but, soit une zone ? 

TB : Il y en a 5 : espace, angle de frappe, posture, orientation dans l’espace et orientation du corps dans l’espace.

Prenons l’exemple d’une frappe au but, quels sont les points tactiques à observer ? La position du ballon dans l’espace, si le ballon est cadré ou pas afin de définir si notre gardien doit défendre son but ou une zone, notre orientation dans l’espace afin de ne pas donner la solution à l’attaquant de l’angle de profondeur, notre orientation dans le but donné par l’angle de frappe, puis notre posture. Cette réflexion doit se faire pour l’ensemble des actions de jeu qui concerne le gardien tant défensivement qu’offensivement.

MO : Quelles sont les conséquences de l’aspect tactique sur le quotidien des entraîneurs de gardiens ?

TB : Ses conséquences sont liées à nos réflexions sur l’organisation de notre séance d’entraînement et son déroulement. Avec RTM Goalkeeper, nous avons mis en place une méthodologie répondant à cette question. La base de réflexion est la suivante : « du jeu à l’action, de l’action à la séance ». Cette affirmation nous amène au cœur de l’aspect tactique. En effet, nous devons partir d’une action de jeu afin de définir où se situe le départ de l’action, dans quel espace elle se termine, quels sont les espaces dans lesquels nous allons travailler, quels seront les déplacements, quelle sera la lecture sur les référents cognitifs afin d’être dans le bon espace avant le départ du ballon, ce que l’on appelle communément « anticipation ».

Puis, dans un second temps, nous allons profiter d’une structure d’entraînement que nous connaissons tous, à savoir : un échauffement, une partie analytique, une partie adaptative, l’ensemble de notre structure devra avoir comme objectif de travailler dans les espaces définis par l’action choisie dès son échauffement afin de permettre à nos gardiens de travailler leur orientation dans l’espace ainsi que l’orientation de leurs corps dans l’espace, leurs déplacements spécifiques, ainsi que leurs postures. Nous pouvons nous rendre compte qu’ainsi l’aspect tactique est au cœur de notre réflexion dans l’organisation et le déroulement de notre entraînement. Les autres aspects vont pouvoir se développer dans nos séances en fonction de la (les) dominante(s) choisie(s). On parle alors de périodisation tactique.

MO : Quelles sont les composantes de la périodisation tactique ?

TB : Le terme « périodisation tactique » nous apporte deux composantes : « périodisation », qui va nous amener à parler de planification et « tactique », qui prend sa source de réflexion dans le jeu. La périodisation tactique va ainsi permettre que notre source de réflexion soit donnée par le jeu, en utilisant les dominantes au sein de notre séance afin de mettre l’accent sur les axes de travail souhaités par notre planification.

La première étape est de partir d’une situation de jeu comme réflexion pour nos séances, car elle définira les espaces dans lesquels nous travaillerons. La deuxième est d’assimiler la méthodologie de travail afin de gérer pleinement les différentes possibilités dans l’entraînement.

MO : Le concept de périodisation tactique n’a-t-il pas été développé au Portugal il y a plusieurs années ?

TB : En effet, ce concept a été développé par Victor Frade dans le courant des années 90, mais uniquement dans le contexte de l’entraînement collectif. Ce que je propose aujourd’hui est une adaptation de ce concept à l’entraînement spécifique du gardien de but, et c’est là la grande nouveauté, la grande révolution.

MO : Comment cela se traduit-il dans la planification des séances spécifiques gardien ?

TB : Je ne vais pas vous développer l’ensemble des réflexions sur une planification qui sera donnée en premier lieu par les différentes périodes (préparation, compétition, transition, …), puis l’élaboration de mésocycle, mais construisons ensemble un exemple de planification enpartant d’un microcycle (travail sur une semaine, du dernier match joué jusqu’au prochain match).

La périodisation tactique va s’articuler sur le choix des situations de jeu que nous allons développer pendant la semaine, soit en fonction de notre adversaire, soit en relation avec la pyramide de développement souhaité par le responsable des gardiens des centres de formations, clubs. Une fois les actions déterminées pour la semaine, nous allons définir les accents souhaités lors de notre microcycle, à savoir quel jour nous allons être sur un axe technique le lundi, un axe de condition physique (exemple : explosivité mardi, vitesse mercredi), un axe cognitif / mental (stabilité mentale) le jeudi, un axe tactique / mental le vendredi et match samedi par exemple. Nos dominantes qui sont fixées pour la semaine.  Il nous reste plus qu’à les associer aux situations de jeu.

Concrètement, imaginons que votre situation de jeu part d’un ballon d’un l’axe à 35m, donné dans un intervalle, suivi d’un contrôle et d’une frappe de 14 à 20m.

Le lundi, vous avez une dominante technique. Vous allez donc axer votre travail sur la qualité technique de votre gardien (qualité d’appuis, de prise de balle, déviation dans l’espace libre) tout étant très attentif sur les aspects tactiques qui seront donnés par sa position dans l’espace, son orientation dans le but, sa posture, etc…

Le mardi, vous aurez une dominante condition physique (explosivité, sans tenir compte du travail de salle, etc…). Vous allez utiliser la partie analytique pour mettre en place vos haies orientées dans le but d’une façon à pouvoir réaliser un plongeon après le dernier saut de haie, puis vous allez enchaîner avec des situations avec des « angles ouverts » afin de favoriser des plongeons avec poussée dans la partie adaptative. Vous allez constituer l’ensemble de votre microcycle dans la même dynamique.

MO : Où peut-on retrouver cette méthode et les explications de sa mise en application ?

TB : Je travaille actuellement sur la finalisation d’un ouvrage expliquant les tenants et aboutissants de cette nouvelle méthodologie en espérant que cela puisse aider le plus grand nombre d’entraineurs et d’éducateurs dans leur rôle quotidien auprès des gardiens. Sa sortie est prévue très prochainement.

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