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17 May 2019


Figure emblématique et charismatique du journalisme français, Darren Tulett ne laisse personne indifférent. Grâce à cet humour anglais si particulier, le natif de Sussex a rejoint notre belle France et y est tout simplement devenu une référence. Ses émissions cultes ont fait aimer le football anglais à bien des Français, et il anime aujourd’hui sur BeIN Sports bien des émissions dont Champions Arena, à retrouver tous les week-ends sur la chaîne sportive. Aussi, chez Main Opposée, on se devait de recueillir l’œil aiguisé de Mister Premier League, qui nous parlera ce jour de football et de gardiens. Let us hear his wise words.

Darren Tulett anime Champions Arena chaque week-end sur BeIN Sports (Source : Ouest France)
Darren Tulett anime Champions Arena chaque week-end sur BeIN Sports (Source : Ouest France)

Main Opposée : Bonjour Darren, tes émissions ont façonné la culture footballistiques de bien des gens, qu’est-ce qui t’a amené à aimer le football comme ça ?

Darren Tulett : Tu sais, en Angleterre, on naît supporter d’un club plus ou moins, c’est-à-dire que c’est quelque chose qui est dans le sang je pense, sans exagérer. On a dès le plus petit âge cette notion de “clubs”, cette idée qu’on doit être supporter d’un club et ce depuis tout petit. Je me souviens que très jeune – alors qu’à cette époque là, le foot était très rare à la télé. Les plus jeunes, et ça me fait toujours rigoler quand je commence mes phrases comme ça, comme si j’étais vraiment super vieux, mais les plus jeunes comme je disais ne peuvent pas comprendre une période où il y avait peut-être un match diffusé par week-end à la télé. Après il y avait des émissions des meilleurs moments, des résumés, un peu comme Jour de foot maintenant, et donc, malgré le fait que le foot était très présent à la télé, on avait déjà cette notion de club et de supporters.

Dès 5-6 ans, j’avais choisi mon club, et comme n’importe quel petit aujourd’hui aussi, je suis devenu fan du club qui était en tête du classement, parce que quand on a 5-6 ans, tu ne veux que supporter les meilleurs. Si tu prends un mec qui a 5-6 ans aujourd’hui qui habite dans la Creuse, tu vas pas lui demander de supporter un club de quatrième division, il va toujours être supporter du PSG. C’est aussi pour ça qu’il y a plein de mecs de 20 ans aujourd’hui qui sont supporters de l’OL. Moi, quand j’avais 5-6 ans, Arsenal a fait le doublé cette année là, j’ai donc choisi Arsenal, et tu vois, mon frère qui a 5 ans de moins que moi, lui supporte Liverpool parce que quand il avait 5 ans, Liverpool était champion. Mais bon, on est toujours restés supporters de Brighton qui est le club de la région et notre club de coeur. Mais bon, quand on était petits, Brighton etait en 3ème division donc voilà, même si Brighton reste mon club de coeur. Mais oui, on est nés dans un pays où tu es tout de suite fan d’un club de foot. Et si tu arrêtes n’importe qui dans la rue en Angleterre, que ce soit une grand-mère ou un jeune homme, et que tu lui demandes “De quel club tu es fan ?”, la personne saura immédiatement que tu parles de football et aura son club.

MO : Pour revenir sur ta passion pour Arsenal, il paraît même que tu as un tatouage d’Arsenal…

DT : Ah non, ça c’est une connerie, et  il faut que tu écrives ça d’ailleurs parce que c’est drôle. Je ne sais pas d’où ça vient, et je ne sais pas pourquoi quelqu’un aurait pris le temps d’aller sur internet pour écrire un mensonge pareil, ça me fascine. Si la personne qui a écrit ça lit cet article d’ailleurs, contactez-moi parce que ça m’intéresse, j’aimerais bien savoir ce qui motive quelqu’un pour écrire ça. Non, je n’ai pas de tatouage, j’en ai jamais eu et je n’en aurai jamais. Surtout, j’aurais pas mis un tatouage d’Arsenal, que ce soit sur mon épaule ou sur mon cul, même si à choisir, je le mettrais plutôt sur mon cul [rires]. Non mais n’importe quoi.

MO : Est-ce que tu penses que cette culture pour les clubs en Angleterre pourrait avoir un rapport avec les performances de l’équipe nationale anglaise ?

DT : Non, je pense que ça n’a rien à voir. Je pense juste que culturellement, le foot a toujours été très important dans notre pays. On aime penser qu’on est le pays qui a inventé ce sport et qu’on y est culturellement liés. Tiens, un exemple : ma mère. Je pense qu’elle a dû aller trois fois dans sa vie dans un vrai stade de foot, et pourtant aujourd’hui, elle écoute tous les matchs de Brighton à la radio locale. Donc voilà, elle est toujours au courant de ce qu’il se passe, et quand je parle avec elle au téléphone, elle me dit : “Ah tiens, ton pote, il était bien ce week-end”. Elle veut parler d’Anthony Knockaert, le français, que je connais. Il me faut toujours quelques secondes pour comprendre de quoi elle parle : “Mon pote ? Ah oui, Anthony Knockaert.” Mais voilà, devant sa radio tous les week-ends et en ce moment elle souffre beaucoup d’ailleurs.

MO : On y reviendra par la suite effectivement à Brighton. Et le poste de gardien de but pour toi alors, passion refoulée ou très peu pour toi ? 

DT : Gardien de but ? [Rires] Quand j’étais petit et que je jouais dans les buts, c’était un calvaire. J’ai toujours pensé que les mecs qui aimaient ça étaient un peu spéciaux, et avec le recul, je pense que j’avais raison quand j’étais petit. Il faut être spécial pour vouloir aller dans les buts et être celui qui va être blâmé pour le moindre malheur qui arrive à ton équipe. Regarde Aréola contre Lille, il a pas fait un bon match, mais comme beaucoup de joueurs du PSG. Néanmoins, on va quand même décortiquer son match et lui trouver pas mal de défauts je pense. C’est dur d’être gardien. Moi j’aurais jamais voulu jouer à ce poste-là et j’ai tout fait quand j’étais petit pour ne pas y aller entre les poteaux. Je laissais marquer tout de suite comme ça ce n’était plus à moi et ça tournait quoi. Mais les gardiens en Angleterre ont toujours eu un rôle un peu spécial c’est sûr, surtout depuis Gordon Banks, qui était tellement exemplaire, tellement bon avec cet arrêt devant Pelé pendant la coupe du monde 70. Les gardiens anglais à cette époque-là étaient respectés, et ça a continué pendant un moment avant malheureusement de vivre des moments plus compliqués dans les années 80/90 où le gardien anglais est devenu une figure assez risible, n’est-ce pas ?

MO : Est-ce que sur les périodes footballistiques que tu as connues, toi qui en connais tant, une te marque plus que les autres ? 

DT : Je pense que je vais tomber dans la facilité en parlant de la période où je suis ado, parce que je pense que ce sont ces années-là qui marquent la vie d’un homme ou d’une femme et qui restent avec nous pendant longtemps après. C’est un peu comme la musique : une chanson que j’aimais quand j’étais ado, si je l’entends 40 ans après, et bah je connaitrai quand même les paroles par coeur. Je pense que c’est un peu pareil pour le foot. Je regardais tout, je m’intéressais à tout et je peux me souvenir de matchs des années 80/90 alors que dans 3 jours, je pourrais oublier qui jouait entre Lille et le PSG par exemple. Donc je pense que c’est lié à plein de choses chimiques dans nos têtes, mais la fin des années 70 et le début des années 80 étaient une période spéciale parce que j’avais 14/15/16/17 ans et que j’allais beaucoup au stade et que je commencais vraiment à être fan comme on l’entend : supporter mon club, aller au stade chaque weekend, etc…, et ce malgré tous les problèmes de la société anglaise et du football de ces années : le chômage, les hooligans. Mais c’étaient mes années foot où j’étais au stade chaque week-end, donc ouais, je suis marqué par cette période-là, de succès pour Arsenal et aussi par les résultats de Brighton qui a fini par monter en 83 pour la première fois de son histoire en Premier League. Et quand tu vis ca de très près quand tu as 14/15 ans, forcément ça reste avec toi.

MO : On allait justement te parler de cette période 70/80 où il y a une véritable razia anglaise en Europe : 7 titres en 8 ans pour les clubs anglais.

DT : Oui, le foot anglais dominait cette époque-là. Liverpool surtout, mais avant cette époque-là – et ca va surprendre ceux qui ne suivent pas de près le foot anglais – des clubs comme Nottingham Forest, Aston Villa qui sont champions d’Europe. Aujourd’hui, ils sont en deuxième division en Angleterre ! Comme quoi, on avait vraiment l’impression qu’en Coupe d’Europe, le club anglais qui se qualifiait aller gagner quoi !

MO : En point d’orgue de cette période, on a le droit à la légende des Spaghetti Legs de Bruce Grobbelaar et le sacre de Liverpool. Est-ce tu pourrais nous en dire plus sur cette histoire ?

DT : Oui, bien sûr ! Bruce Grobbelaar était un gardien un peu fantasque. Il venait du Zimbabwe, il avait une drôle de moustache, une drôle de dégaine et il était un peu excentrique on va dire. Et là, on était en finale de la Coupe d’Europe, Liverpool contre Rome à Rome, extraordinare quand même ! Et donc  on est en 84, finale, tirs au but. A cette époque-là, c’était encore rare qu’un gardien se fasse remarquer, les gardiens étaient encore en retrait. Mais Bruce Grobbelaar n’était pas comme ça on va dire [rires], il a eu un drôle de parcours avant d’arriver à Liverpool déjà. Il a joué au Canada avant, assez improbable comme gardien de but quoi.

Il arrive à Liverpool, un peu sur le tas en quelque sorte et il a marqué l’histoire de ce club en jouant une douzaine de saisons. C’est un gardien qui reste dans la mémoire des gens. Lorsque Conti s’élance pour tirer, Grobbelaar fait semblant d’avoir les jambes qui tremblent, en faisant des gestes avec ses bras, avec ses jambes, et je pense que Conti a dû être déconcerté. Il tire au-dessus et on dit que c’est à cause de Grobbelaar quoi ! Et il le fait de nouveau sur un autre penalty qui a été raté par Graziani. Forcément, cette séance de tirs au but fait de lui une légende par la suite parce que bon, c’était déjà un gardien très athlétique, qui était un peu gymnaste quoi. Il avait ce coté “chat” qu’ont les bons gardiens, mais il avait surtout cette personnalité. Ce sont des images que vous pouvez retrouver sur Internet aujourd’hui et ce type-là était vraiment un gardien qui a marqué l’histoire de Liverpool.

MO : Oui, c’est un moment qui marque l’histoire des gardiens en Coupe d’Europe et qui sera d’ailleurs reproduit 21 ans plus tard par Dudek en 2005.

DT : Oui, c’est ça. Il y a une grosse tendance des commentateurs, et ça c’est quelque chose qui m’énerve, de parler des tirs au but comme une lotterie. Un mec qui dit ça déjà, il devrait, je ne sais pas moi, mis au bagne [rires]. C’est tellement loin d’être une lotterie, c’est quelque chose que tu prépares ! Même s’il y en a comme Fabien Barthez qui disent : “Moi je ne voulais pas savoir, je voulais faire à l’instinct”. Bon, ok , ‘whatever’. Mais aujourd’hui franchement, dire ça pour moi, c’est presque une faute professionnelle. Il faut que tu saches tout ce que tu peux savoir sur ton adversaire. Donc bien entendu que le gardien de but a un rôle super important à jouer sur ces moments-là.

Aussi, je déteste quand les commentateurs disent : “Ah, machin a raté” alors que c’est le gardien qui l’arrête. Ne dis pas que machin l’a raté, dis que truc l’a arrêté. Quand même ! C’est bien plus adapté. Tiens, l’autre jour, quand Lloris arrête le penalty d’Agüero, j’ai entendu le commentateur anglais après qui a dit : “Aaaah, Agüero qui rate son penalty”. Non non… Lloris qui arrête le penalty d’Agüero. Et effectivement là, Grobbelaar avait gagné cette séance quelque part parce que sa tactique a eu un effet sur les joueurs en face, j’en suis sûr !

MO : Après cette période, le football connait une modernisation assez impressionante dans les années 90. Les gardiens gagnent de grands noms dans leurs rangs : Peter Smeichel, mais également ton petit chouchou sûrement David Seaman. Est-ce que tu penses que cette période est une révolution totale ou bien que ce n’est que l’aboutissement d’un processus commencé bien auparavant ?

DT : Oui ! Bien avant, parce que je me souviens de gardiens de but anglais des années 70/80. On avait vraiment une très bonne génération. Je peux vous parler par exemple de Phil Parkes. C’était le gardien de but de West Ham à l’époque où le père de Frank Lampard jouait, et cette équipe de West Ham qui était assez joueuse avait Phil Parkes dans les buts. C’était vraiment un super gardien anglais qui aurait mérité de jouer plus en équipe nationale mais on avait Peter Shilton et Ray Clemence plus ou moins au même moment. Mais Phil Parkes était un gardien qui avait un peu d’avance aussi dans le sens où, dans le années 70 et 80, personne en Angleterre ne savait quoique ce soit sur la nutrition : ils faisaient n’importe quoi, ils bouffaient n’importe quoi, ils buvaient à n’importe quel moment et c’était vraiment n’importe quoi. Mais je me souviens que Phil Parkes lors d’un entretien avec lui disait que toutes les nuits avant de se coucher, il buvait deux pintes d’eau. Pour un Anglais, c’est hyper rare ! Boire de l’eau ? Pourquoi faire ? Lui avait justement compris que ton corps a besoin d’eau et c’était comme un nettoyage pour lui la nuit.

Phil Parkes à West Ham en 1986
Phil Parkes à West Ham en 1986 (Source : Football Past)

Je me souviendrai toujours de ça parce qu’à l’époque, je me disais : “Tiens, pourquoi il fait ça ?”. Joe Corrigan aussi, un grand gardien qui était à Manchester City et qui a joué quelques matchs avec l’équipe d’Angleterre. Ces deux là étaient derrière Peter Shilton et Ray Clemence, et je me souviendrai toujours de cette rivalité-là parce que chacun avait ses fans et en Angleterre, tu ne pouvais pas aimer les deux. Moi, j’étais toujours pour Shilton parce que j’étais fan de ce mec-là. Je trouvais qu’il avait quelque chose de très classe, d’un grand grand gardien de but. Alors aujourd’hui, je l’aime beaucoup moins parce que c’est un type qui était pour le Brexit – comme quoi, on peut être déçu par ses idoles – mais il avait vraiment des mains sûres (le terme “safe hands” en anglais s’utilise beaucoup pour décrire la sérénité du gardien). Il y avait aussi le gardien d’Arsenal,  Pat Jennings, qui a été un des seuls joueurs à jouer pour Arsenal et Tottenham. Je me souviens de lui quand il était à Arsenal, il était formidable, il avait des mains absolument énormes ! Il pouvait prendre le ballon tranquillement dans une main ! Pat Jennings était vraiment très sobre dans les buts, pas de fioriture, pas d’arrêt pour la caméra. Super courageux aussi. Donc je pense que tous ces bons gardiens ont fait en sorte qu’il y ait eu des David Seaman qui sont arrivés. Toutes ces figures ont généré une génération meilleure, mais ce sont eux qui m’ont marqué dans mon enfance.

MO : Depuis les années 90, beaucoup de noms étrangers circulent dans les buts de Premier League. Est-ce que tu penses qu’il y a un problème dans la formation anglaise ? À quand l’héritier de Gordon Banks ?

DT : C’est une question où j’ai du mal à répondre parce qu’il faudrait voir le fonctionnement intérieur des clubs pour mieux y répondre. Je pense que pendant longtemps, on a manqué d’idée sur le sujet et je pense que pendant longtemps, les clubs anglais ont ignoré l’idée d’avoir un entraîneur pour les gardiens. C’est clairement une erreur puisqu’aujourd’hui, on est habitués à voir les gardiens avec tout un staff. Pour moi, le meilleur exemple, c’est Christophe Lollichon avec Chelsea. Pour moi, c’est un grand coach de gardien du but ! J’ai eu la chance de les rencontrer, Lollichon et Petr Cech quand ils étaient ensemble à Chelsea parce que eux, ils avaient une vraie complicité et une vraie envie intellectuelle de parler de ce poste de gardien et de trouver des moyens d’améliorer le travail du gardien. Donc Lollichon – tout ce qu’il apportait à l’entrainement – et Petr Cech – intellectuellement le mec curieux qui a toujours besoin de challenge, qui se lance dans l’apprentissage d’une nouvelle langue tous les deux ans -, tous les deux, j’étais allé à Londres les voir pour faire un sujet sur eux pour Canal + à l’époque. Je savais que le sujet allait durer, allez quoi, quatre minutes ? Et pourtant on a tourné pendant une heure. Et je pouvais pas m’empêcher de poser plus de questions parce que c’était tellement intéressant. Et après ça, on est allés boire du thé parce que forcément, on était en Angleterre pour continuer la discussion et c’était fabuleux. Un des moments que j’ai vraiment apprécié dans le métier que j’ai de la chance de faire : parfois, tu rencontres des personnes fascinantes. Donc voilà, j’ai toujours aimé Petr Cech comme gardien de but et j’ai adoré apprendre à connaitre la complicité avec Christophe Lollichon.

Christophe Lollichon et Petr Cech à l'entraînement à Chelsea (Source : Daily Mail)
Christophe Lollichon et Petr Cech à l’entraînement à Chelsea (Source : Daily Mail)

On le voit aussi avec ce qu’il se passe à l’OL par exemple, avec Lopes au début de sa carrière, aujourd’hui avec Grégory Coupet. Je me souviens avoir fait des sujets sur lui quand il était gardien à l’OL, l’entraînement qu’il faisait avec Joël Bats qui était vraiment hyper énergique, hyper physique parce que Greg Coupet avait besoin de ça, de se dépenser parce que c’est un gardien que j’ai beaucoup aimé, que j’ai la chance de fréquenter et c’est un mec formidable qui est toujours dans la recherche. J’aime beaucoup les gens qui sont dans cette notion de ne pas seulement faire ce qu’il faut, mais de chercher toujours quelque chose de plus, aller plus loin. Lollichon et Cech me parlaient par exemple des différentes équipes qu’ils rencontraient en Premier League, des différentes tactiques qu’ils mettaient en place, où se situer dans les buts face à certains coups de pied arrêtés contre certains clubs et comment se comporter contre d’autres et comment préparer une séance de tirs au but, vraiment passionant ! D’ailleurs, Christophe Lollichon, je sais pas si vous l’avez déjà interviewé mais ça serait un super sujet !

MO : On en doute pas ! Plus récemment, lors de la Coupe du Monde, on a retrouvé une équipe anglaise qui a enfin renvoyé des signaux positifs à son équipe. Est-ce que Jordan Pickford, le gardien anglais t’a convaincu dans ses performances ?

DT : Oui, je l’ai trouvé bon pendant la Coupe du Monde ! Je pense qu’il est l’un des joueurs qui ont réussi leur Coupe du Monde et ça fait du bien aussi ! C’est très mental, c’est psychologique le succès, il faut être en confiance pour réussir, il faut y croire. Et l’Angleterre, pendant des années maintenant, a eu des problèmes avec cette confiance et cette mentalité parce que quand tu perds autant de séances de tirs au but, même si les joueurs changent et les générations changent, il y a quelque chose qui reste au-dessus de la tête de ceux qui vont tirer la prochaine fois. Il savent qu’ils appartiennent à une équipe qui ne gagnent jamais une séance de tirs au but [rires]. C’était quelque chose de primordial pour nous de gagner une séance de tirs au but et Pickford a joué un rôle là dedans parce que c’est un gardien qui a une énorme confiance en lui, ou c’est ce qu’il projette en tout cas. Il me rappelle un petit peu Anthony Lopes, c’est un type bondissant, qui aime sortir dans les pieds des attaquants. Oui, il a peur de rien, il aime bien le contact. Et donc, parfois, un gardien comme ça, ça peut être un danger pour lui-même et pour son équipe. Mais quand il est vraiment en forme, qu’il maîtrise ce qu’il fait, on l’a vu à la Coupe du Monde, il était plutôt performant. Parce que je n’étais pas convaincu à un moment, je n’étais pas certain par rapport à cet aspect de sa personnalité. Je ne sais pas comment il travaille avec Everton parce que je connais pas de gens au club aujourd’hui, mais ses performances ont été consistentes depuis deux saisons maintenant et il a un talent qui fait que enfin, l’Angleterre se sent confiante dans son gardien de but.

MO : Sur un plan plus personnel, toi qui es natif de la région de Brighton et dont le club, Brighton & Hove Albion, est revenu dans l’élite anglaise depuis deux ans, après 34 ans d’absence. Es-tu satisfait des performances de Matthew Ryan, le gardien australien de Brighton ?

DT : Oui, il est formidable ! C’est un super gardien, je l’ai aimé quand il était avec Bruges en Belgique, je l’ai suivi après à Valence et j’ai été surpris qu’un club anglais ne soit déjà pas venu le chercher quand il était en Belgique, parce que forcément, étant australien, il n’a pas de problèmes avec la langue. Non, je le trouve bien, y’en a qui pensent que pour être gardien en Angleterre, il faut faire 2m50, je suis pas tout à fait de cet avis là. Lui n’est pas le plus grand gardien par la taille mais il a beaucoup de talent, il est très bon sur sa ligne, des réflexes formidables. Peut-être qu’il pourrait sortir un peu plus parfois mais franchement, il a été très bon cette saison et sans lui, peut-être qu’on serait encore plus en difficulté. Donc pour l’instant, il fait partie des rares satisfactions.

MO : Quelles différences vois-tu entre le football francais et anglais et quelles conséquences cela devrait avoir sur les caractéristiques des gardiens ?

DT : Je pense qu’il y a encore des différences. Culturellement, les deux pays sont très différents et très différents dans leur approches du foot. Je me souviens, on en parlait avec Gérard Houillier par exemple qui évidemment a passé des années en Angleterre : le joueur français qui arrive en Angleterre, il doit s’adapter dans un premier temps à la vitesse des matchs et aux exigences du public. Le public va te pousser à jouer plus vite, à prendre plus de risques et à balancer des ballons vers l’avant parce que le public anglais a toujours cette envie de voir les choses avancer. Quand tu essaies de faire du tiki-taka en Angleterre, il faut que ça gagne parce que sinon, ça va gronder dans les tribunes. Mais voilà, c’est une histoire de culture. Moi, je me souviens que la première chose qui m’ait frappé quand je suis allé en France dans les stades pour regarder des matchs, c’est que les défenseurs, les latéraux ne balancent presque jamais parce qu’ils se faisaient siffler derrière. Parce qu’en France, il y a cette idée du football, cette culture un peu latine qui veut que ça joue et que derrière, c’est pas parce que t’es un défenseur que t’as le droit de balancer le ballon n’importe où. Et donc parfois, j’ai vu des défenseurs français prendre des risques insensés par peur de se faire siffler et insulter pour leur manque de technique quoi. Alors que moi, j’étais là : “Put*** mais balance-moi ça dans les tribunes”. En Angleterre, tu peux entendre toute la foule se lever et applaudir, tu te dis “Mais qu’est ce qu’il s’est passé ?” et tu vois en fait que le défenseur central a mis le ballon en dehors du stade [rires]. Comme ça il a dégagé le danger, tout le monde respire un bon coup et on a l’impression que ça fait du bien à tout le monde. Alors qu’en France, tu faisais ça, tu te faisais huer par tout le stade. Forcément, ça a un impact sur les gardiens parce que le gardien anglais, il peut compter sur ses défenseurs pour dégager loin devant et que tout le monde monte. En France, tu peux repasser par le gardien. Surtout aujourd’hui, le foot a changé ces 5-6 dernières années et on attend beaucoup plus du gardien.

Ederson et Guardiola (Source : The Telegraph)
Ederson et Guardiola (Source : The Telegraph)

On peut en vouloir ou on peut remercier des entraineurs comme Pep Guardiola pour ça. Pep Guardiola, il a envie de voir son gardien participer au jeu. On le voit aujourd’hui avec Ederson qui est absolument formidable et c’est là où tu vois l’importance d’inclure le gardien de but dans le jeu, à l’entraînement pour qu’il participe. Nous, on savait qu’il y avait des mecs comme Fabien Barthez qui aimaient jouer. Non, il voulait pas aller dans les buts Fabien, il voulait jouer. Tu vois aussi que ça a eu un effet sur son jeu parce qu’il était confiant balle au pied. Il y a 20 ans, il était l’un des rares comme ça. Aujourd’hui, un gardien de but qui ne sait pas tenir le ballon et faire des passes, il va être en difficulté parce que les entraineurs sont de plus en plus exigeants quant aux gardiens de but et y’en a qui ont compris et qui savent faire. Alisson est pas mal aussi avec Liverpool, même si parfois il prend des risques où tu te dis “Oulalah”. Mais Ederson est devenu un joueur hyper important pour Man. City parce qu’il peut allonger, il est très précis, il arrive à dégager rapidement et avec précision pour trouver ses attaquants et l’air de rien, ça devient une arme dans le foot moderne. Donc forcément, les choses ont changé. Aujourd’hui, en Angleterre, les choses ont changé et ça ressemble de plus en plus à la France parce qu’on a apporté des entraineurs étrangers, des joueurs étrangers et on a ajouté tout ça au mélange anglais. Mais bon, il y a toujours ce désir en Angleterre, du côté du public en tout cas d’aller plus vite et de jouer vers l’avant donc c’est pas tout à fait le même football.

MO : En parlant de football français, que penses-tu d’Hugo Lloris qui a été beaucoup critiqué à son arrivée de Lyon. Est-ce qu’il fait partie du Top 5 mondial pour toi ?

DT : Je pense que c’est un grand gardien et quelque part, je suis encore plus content pour lui avec la Coupe du Monde parce qu’il a du manque sur son palmarès par rapport à certains de ses coéquipiers en Équipe de France qui ont gagné beaucoup de choses en club. Lui, il n’a pas beaucoup gagné, ni avec Lyon ni avec Tottenham mais pourtant, il a été très important dans les deux équipes. C’est quelque chose d’être capitaine et gardien de but, ça veut dire quelque chose ! Et en plus, être un étranger et être capitaine alors que tu es gardien de but, c’est hyper rare et ça devrait faire comprendre aux gens l’importance qu’il a dans le football anglais et dans son club. Parce que Pochettino donne le brassard à un gardien de but, c’est quand même quelque chose et Loris, ça veut quand même dire qu’il a le respect de tous ses coéquipiers, l’admiration de son coach, c’est super important. Il n’aurait pas tout ça s’il n’était pas un grand grand gardien et je pense qu’il mérite le succès qu’il a actuellement et j’espère pour lui que Tottenham va gagner quelque chose cette saison parce que le club a besoin de ça pour continuer à avancer : on pense au nouveau stade magnifique qu’ils ont maintenant. Et justement, il faut qu’ils gagnent quelque chose pour que les joueurs qui sont au club puissent avoir envie de rester et pas l’envie d’aller voir ailleurs pour rajouter des lignes à leur palmarès.

MO : Pour revenir sur ce que tu disais, sous l’impulsion ibérique, il y a beaucoup plus de gardiens qui sont très bons balle au pied au point que certains gardiens comme Ederson aient fait deux passes décisives cette saison. Tu disais tout à l’heure que c’était peut-être un peu exagéré. Tu penses que c’est une bonne chose que de prôner cette philosophie du jeu au pied pour le gardien ?  

DT : Je pense qu’il faut que tu saches jouer avec tes qualités. Je pense que si t’as un gardien capable de faire des relances comme Ederson, et bien là, c’est formidable parce qu’en plus, Guardiola est allé le chercher parce qu’il sait que c’est ce type de football qu’il a envie de pratiquer. Après si t’as un Jan Oblak dans ton équipe, tu vas pas le jeter pour aller chercher quelqu’un qui est meilleur au pied parce qu’Oblak, c’est peut-être le meilleur gardien du monde en terme de ce que tu attends d’un gardien de but : c’est à dire arrêter des buts. Si demain, je devais choisir le gardien de but que je veux dans mon équipe pour les 4-5 ans à venir, je dirais Oblak. Je le regarde tous les weekends sur BeIN avec l’Atletico et il est juste énorme, un magnifique gardien de but, sobre, j’aime beaucoup la sobriété de ce mec là : jamais un arrêt pour faire beau, il va jamais la mettre au-dessus s’il peut la capter des deux mains. C’est un truc qui m’énerve aussi, les gardiens qui viennent systématiquement boxer alors qu’ils ont le temps de capter ce même ballon, parce que parfois ils boxent même s’il y a personne. Putain mec, t’as des mains, c’est le moment d’attraper le ballon aussi. Mais bref, un gardien comme Oblak, tu le prends comme il est. Forcément, si t’as la chance d’avoir un gardien qui est très à l’aise avec la balle au pied aussi, Ederson est sûrement le meilleur exemple aujourd’hui mais par le passé, on a aussi eu des mecs comme en France Barthez ou Landreau qui lui aussi était plutôt à l’aise, à part quand il tirait des penalties bien évidemment [rires]. Mais tant mieux, parce que le foot aujourd’hui veut que tu fasses bouger l’équipe adverse et parfois t’as besoin de repasser par ton gardien de but. Et si parfois ton gardien de but est mal à l’aise quand il reçoit le ballon, forcément t’es en difficulté. Mais tout dépend du football que t’as envie de jouer.

Pareil, Manuel Neuer qui joue au Bayern comme libéro depuis des années maintenant. On en parle beaucoup moins ces deux dernières saisons parce qu’il a été blessé, mais lui c’était peut-être le premier à commencer vraiment à donner cette idée au coach tellement il jouait haut. C’était incroyable, il était souvent à 40m de ses buts, il prenait de vrais risques mais avec toujours cette envie d’accélérer le jeu. Tu dégageais contre le Bayern, bim, ça revenait vite parce que le gardien était déjà là en libéro pour relancer le jeu. C’est un rôle qui a tellement changé en peu de temps, le rôle du gardien de but, c’est remarquable. Ce sont pour moi, avec le rôle du latéral, les deux changements majeurs dans le football depuis 20 ans. On attend des choses différentes de ces joueurs-là, c’est hallucinant. Le latéral est devenu un joueur clé parce qu’il doit faire 4 000 miles par match, il doit être défenseur, attaquant, il doit centrer parfaitement : c’est un changement énorme, et le gardien de but aussi. Il doit pas seulement savoir utiliser ses mains mais savoir faire des passes, relancer, être libéro, rassurer sa défense, faire des une-deux. C’est vrai que c’est quand même un changement énorme et quand on voit un gardien qui arrive à maitriser tout ça, c’est vraiment impressionant.

MO : Toi qui es maître des anecdotes, tu peux nous en raconter une petite sur les gardiens de but, que ce soit dans le jeu ou dans ta carrière de journaliste ?

DT : Qu’est-ce que je pourrais te raconter ? Ah si, c’est une histoire sympa qui n’a rien à voir avec la pelouse mais qui est assez sympa sur l’homme plutôt que sur le gardien de but. Mickaël Landreau était notre consultant au début de la chaîne à BeIN. On a commencé en 2012 et on avait l’Euro sur nos antennes, Micka était notre consultant et donc il était avec moi sur le plateau presque tous les jours. J’appréciais énormément puisque c’était sa première expérience en tant que consultant mais il était déjà très très bon dès le début. Intéressant, lucide, intellectuellement stimulant donc c’était un super coéquipier, un super camarade pendant ce tournoi-là. Et la raison pour laquelle je t’en parle, c’est que je voulais souligner son côté humain. On était vraiment mais vraiment au tout début de la chaîne, et au bout de 2-3 jours, on s’est rendus compte qu’on avait rien en place pour les boissons, la nourriture etc. On faisait parfois une exhibition, un match ou deux matchs et on enchainait, et personne n’avait pensé à comment on allait faire pour manger parce qu’on ne pouvait pas quitter le plateau. Les premiers soirs, on était donc tous un peu perdus et on ne savait pas comment faire, si quelqu’un devait aller acheter des sandwichs etc. Et je me souviens de ça parce que le quatrième ou cinquième soir, tout d’un coup, y’a un type qui arrive avec 30 pizzas à la main. On se disait : “Mais putain, mais où est-ce que t’as trouvé toutes les pizzas ?”. Et en fait, c’est Micka Landreau qui avait constaté ce manque et qui avait acheté des pizzas pour tout le monde, pas seulement pour les journalistes mais pour tous les techniciens et tous ceux en régie. On avait une trentaine de pizzas à partager et c’était vraiment un bon moment à partager pour toute l’équipe. Ça m’est justement revenu quand tu m’as dit “une anecdote sur un gardien” voilà. C’était pas un geste de gardien mais plutôt un geste humain d’un grand gardien.

MO : C’est un geste de sauveur quand on y pense …

DT : [Rires] Hahahaha oui c’est vrai ! Il a sauvé toute l’équipe.

MO : Pour conclure Darren, on va passer à la fameuse séance de pénos de MO…

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MO : Ton arrêt préféré ?

DT : Euuuuuh, je ne vais pas te surprendre : Gordon Banks devant Pelé tout de même.

MO : Ton match préféré ?

DT : La finale de la FA Cup en 1983, parce que Brighton y participait pour la seule fois de son histoire et a tenu “Man. Utd” à 2-2 en prolongations.

MO : Ton gardien préféré ?

DT : C’est dur, mais je pense que le gardien qui m’a le plus fait rire, c’est Oliver Kahn. Un fou furieux, j’adorais le regarder parce qu’on savait qu’il pouvait prendre le ballon n’importe où mais aussi se prendre le chou avec ses adversaires.

MO : Une performance de gardien qui t’a marquée ?

DT : Petr Cech en finale de la Ligue des Champions, lorsqu’il fait gagner son équipe contre le Bayern. Il part du bon côté à chaque tir au but. Il fait les arrêts qui font gagner Chelsea, formidable ! Et ça souligne encore une fois que ce n’est pas une lotterie Messieurs Dames, c’est une science où tu prépares ton coup à bloc, et si tu le fais bien comme lui, ça peut être ça qui te fait gagner.

MO :  Dernier penalty enfin : ce que tu aimes le plus en France ? 

DT : [Rires] Le fromage … ? Avec le vin bien sûr !

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photo de couverture : Le Figaro

 

 

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