Si la perfection obsède tant le portier, c’est qu’elle s’érige face à lui comme le phare qui guide le matelot. Des multiples particularités du poste de portier, il y en a une qui reste assez singulière. En effet, si l’on vous pose un jour la question : “Qu’est-ce que le joueur parfait ?”, il sera très dur d’y répondre. Les particularités de chaque poste font en sorte que la perfection reste indescriptible sur un terrain de football. Cette absence de réponse de perfection apporte une dimension assez magnifique au football, puisqu’elle accorde plusieurs réponses à la même question, plusieurs styles de jeu. Néanmoins, le portier parfait est très facilement conceptualisable. Sorte de machine sans défauts, la perfection résulte tout simplement de l’invincibilité du gardien. Pour autant, un gardien invincible est-il parfait ? La perfection, concept inimaginable à l’être humain, pourrait alors être ramenée à une seule caractéristique. Étrange, impossible, lorsque l’on sait que la perfection reste la quête impossible de tout portier. Cette opposition entre simplicité et impossibilité est une cruelle opposition pour le portier, qui en demeure alors meurtri. Supplice de tantale moderne, le portier parfait est aussi simple qu’inatteignable.
Entre la perfection et la beauté, le portier choisit sans hésiter la perfection. Chose assez inimaginable pour tout être humain sensé, la beauté est sans importance pour nous portiers. Il est de toute façon né pour anéantir la beauté. Déjà, il n’y a qu’à le voir après un entraînement. Short troué, visage noirci et croûtes recouvrant ses jambes, le portier est aussi séduisant qu’un ouvrier sortant de la mine. Ce parallèle avec l’ouvrier est d’ailleurs encore plus parlant lorsque l’on comprend que souvent l’on voudrait remplacer l’ouvrier par la machine. Aussi, le portier démuni n’a plus que pour seul but d’atteindre cette perfection qui lui échappe des mains. Ainsi, pour se rapprocher de cet idéal, le portier enchaîne les répétitions. Chaque entraînement, chaque exercice, chaque série, il répète encore et toujours le même geste, dans l’espoir qu’il devienne parfait justement.
Justement, la perfection devient alors une raison de vivre. Elle guide le portier à travers les matchs, et jamais il ne perd de vue ce précieux mirage. Quitte à être imparfait, le but est de s’approcher le plus possible de cette dernière, comme le mirage qui guide le survivant dans le désert. Ce désert, il l’arpente seul, et ne compte que sur lui-même. Il le sait, il mourra ici, sans gloire ni fortune, mais il continue de marcher, fatigué, blessé par les flèches du passé et les menaces du futur. Et ce rêve fou d’enfant, de devenir parfait, jamais ne le quitte. D’ailleurs, le seul but du gardien est justement la clean sheet. Que le portier aime le blanc, couleur immaculée, divine et noble, et qu’il est prêt à devenir lui-même le plus misérable des hommes pour l’entrevoir ! Notre victoire ne se trouve pas dans l’adversité, sinon dans le défi de soi. Qu’importe de gagner, il est mieux que de ne pas encaisser.
Néanmoins, le portier reste sensible aux beautés de son monde. Si cette obsession de la perfection persiste, elle donne également naissance à un amour profond de la perfection sublimée. Il est difficile de résumer la perfection à une notion unique, en particulier lorsqu’elle se présente à nous parfois sous une forme idyllique. La beauté d’une main opposée justement en est le parfait exemple. Ce geste tant apprécié de nous tous est la preuve que si la perfection est reine, la beauté la rend divine. Habitué à tant de douleurs et de souffrances, le portier trouve son harmonie dans la beauté, si rare mais capable de combler le plus martyrisé des gardiens. Alors oui, l’important dans notre poste, c’est de s’approcher le plus possible de la perfection. Mais celui qui emprunte le chemin de la beauté s’en trouve sublimé de milles extases. Cette enveloppe divine qui entoure le portier volant dans les airs pour aller repousser l’affront, n’est t-elle pas le destin que nous poursuivons tous ?
David De Gea par exemple a toujours eu cette particularité de détenir une détente irréelle, ce qui a abouti à bon nombres d’arrêts dont la perfection réside dans la beauté soudaine de l’envol. Un délicieux régal pour nous gardiens, friants de ces moments que nous vivons sûrement bien trop peu, mais dont nous rêvons bien trop.
Aussi, un portier parfait est-il nécessairement beau ? Une question assez subjective, mais à laquelle plusieurs éléments de réponse viennent donner des pistes. Tout d’abord, si la perfection est justement si inatteignable, c’est qu’elle englobe autant de critères irréalisables dont la beauté est évidemment candidate. De plus, la beauté naît souvent de l’impression d’irréel d’une chose, et quoi de plus irréel que la perfection ? Imaginer le portier parfait en une machine capable de tout arrêter, comme un mur sombre et pâle trop grand pour l’adversité est assez décevant finalement. De l’impression de petitesse du gardien, il se dégage justement à chaque arrêt une essence incroyable. En réalité, on revient ici à l’éternel débat entre la fin et les moyens. Est-il mieux d’atteindre son but d’une manière noble ? Finalement, si le résultat est le seul intérêt du football, ne doit-il pas s’appliquer au gardien également ?
Vaste question, peu de réponses. La réalité est telle que nous ne le saurons sûrement jamais. Mais qu’importe, il est de cette interrogation une facette encore qui complexifie le poste. Faire de nous l’étrange exception au milieu de cette masse uniforme, c’est encore une fois sublimer le portier. Il n’est de plus grande interrogation que celle de notre but, il n’est de plus grand doute que celui de notre chemin.
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