Enquête de perfection : EP.4 : Navas vs Sevilla

Dans cette nouvelle série sur Main Opposée, nous partons à la recherche du Saint-Graal. Celui qui transcende l’homme, qui abasourdit le spectateur et fait frissonner le portier. Vous l’aurez compris, nous cherchons l’arrêt parfait. Une quête présomptueuse, mais une quête que nous poursuivrons sans relâche, car elle mène à notre paradis. Si l’homme cherche un sens à son existence, nous chercherons ici plus encore. Nous cherchons le surhumain, le divin, celui qui nous fera même croire aux beautés de l’enfer et aux horreurs du paradis. Une quête impossible sûrement, mais nous, portiers, domptons l’impossible. Et qui d’autre qu’un portier pour incarner la perfection que nous cherchons tous à atteindre ?

Du duel meurtrier

Si le football repose sur un esprit d’équipe indestructible, c’est encore plus vrai pour la défense. La difficulté de défendre milles assauts sans jamais flancher au cours de l’un deux nécessite justement milles atouts : le courage, la discipline, mais surtout la cohésion. Si le portier est sûrement le sergent de cette armée, il en est justement le plus vulnérable. Pire, lorsque le portier ne peut plus compter sur ses vaillants soldats, il devient alors plus fragile. Alors, il en résulte un duel affamé entre le loup et l’agneau sans défense, presque unilatéral. Il se retrouve dans une situation d’impuissance, trahi par les siens, esseulé des siens, protégeant les siens. Comment protéger seul la forteresse de tous, lorsque l’ennemi semble à ses portes ? C’est la question que tout gardien se pose lorsqu’il voit l’attaquant insouciant venu lui causer milles soucis.

Nous, portiers, nous considérons souvent seuls. Néanmoins, nous ne sommes jamais plus seuls que lors d’un duel. Lorsqu’un tir lointain arrive, nous sommes souvent préparés à bondir, surgir pour tout anéantir. Mais lors d’un duel, nous ne sommes jamais prêts. Quand, où, comment cet insolent rebelle va t-il tirer ?  Là, lorsque le pied s’arme, nous faisons notre choix. Là, lorsque le ballon surgit, nous nous jetons. Là, lorsqu’il est enfin à portée, nous tentons de dévier l’inébranlable course de cette balle qui part comme un coup de feu. Il se crée alors un moment étrange où tout se confond. Chance, destin, talent, tout est bon pour sortir ce maudit ballon.

Lorsque Jovetic se présente à Navas, il semble tout droit sorti de la forêt de jambes tel un loup affamé. La rapidité d’exécution est irréelle, le monténégrin arme et tire tel un rapace plongeant sur sa proie. Navas n’a alors qu’un instant pour exécuter sa prouesse, ou être exécuté. En cet infime instant se joue le sort des siens, et il se doit de sortir le grand jeu. Il se jette aussi vite au sol, couvrant de ses immenses jambes l’espace. Mais Jovetic est brillant, et là où tout autre attaquant tirerait au ras du sol, il choisit l’incongru, l’indécent. Une frappe soudaine, placée au premier poteau et en hauteur, qui surprend le costaricien. Mais voilà, le portier n’a pas jeté toutes ses armes dans la bataille. Dégainant ses bras comme deux épouvantails, il chasse le danger d’un geste autoritaire. Le ballon en ressort dérouté, et part s’évanouir dans les tréfonds verts des abîmes.

Il en résulte une scène d’espoir. Félicité par ses soldats, réjoui de l’incrédulité du monténégrin qui voyait déjà ses crampons graver la pelouse d’une traînée célébratrice, Navas se relève. Il vient de marquer le match de toute sa classe, permettant au peuple madrilène de survivre. Car le portier s’adonne à une guerre, aidé par sa défense, contre les hostilités du monde. En ces face-à-face se joue le destin d’un monde, dont l’issue ne résulte que de deux hommes. Deux gladiateurs qui se répondent à coups de glaives, et dont l’issue est aussi vitale qu’incroyable. Car si le duel est réellement notre pire cauchemar, il est l’occasion de défier toute logique. Finalement, le face-à-face n’est que l’allégorie d’un match de football, duel sans pitié entre deux entités qui se savent prédéterminées, mais s’affrontent dans l’espoir de l’issue désirée. Le portier déteste le duel, mais c’est pourtant là qu’il brille le plus.

Crédit photo : Elbernabeu.com

EDP, FC Séville, Keylor Navas, Real Madrid