Il n’y a pas si longtemps que ça, nous abordions sur Main Opposée la question des face-à-face (que je vous invite à relire ici si vous ne l’avez pas lu). Durant tout cet essai d’ailleurs, nous avions pour but d’étudier ce phénomène étrange qui oppose le portier à l’attaquant. Après bien des analyses, nous en avions tiré une conclusion assez évidente : le face-à-face est surréaliste. Néanmoins, il existe un type de face-à-face qui semble être le point d’orgue de ce surréalisme, défiant toute logique et régulièrement surprenant : le penalty.
Si le spectateur s’ébahit devant ce tel spectacle qu’est le penalty, s’excitant comme un bambin à la veille de Noël, c’est qu’il est certain de connaître le même émerveillement. Une séance de penaltys, quelle qu’elle soit, captive, étonne : immanquable. Aussi, dans cet épisode, nous tâcherons de nous attarder sur cette singularité qu’est le penalty.
Il suffit de s’intéresser aux statistiques autour du penalty pour voir la logique engloutie comme autour d’un trou noir. Premier fait d’arme contre-intuitif, le taux de réussite le plus important d’un penalty est en plein milieu. Cela semble plutôt surprenant au premier abord, mais l’explication réside dans le fait que les gardiens choisissent un côté pour plonger et ne restent que très rarement au centre (environ 3% du temps). Pourtant, environ 26% des penaltys sont tirés au centre du but. Premier paradoxe donc, où le portier, de peur de l’inaction, déroute ses actions. Pire encore, le portier arrête 33% des tirs dans le tiers central de la cage, soit bien plus que les moyennes d’arrêt sur les côtés. Là encore, on remarque un énorme paradoxe : malgré tous les outils statistiques à sa disposition, le portier ne choisit pas une stratégie optimale. C’est ce qu’on appelle le biais d’action : le gardien préfère donner l’illusion de se jeter comme un forcené plutôt que de rester immobile et paraître désintéressé.
Une multitude de phénomènes très bizarres se produisent en effet lors d’une séance de penalty. Par exemple, il est plus judicieux de laisser tirer son meilleur tireur en dernier plutôt qu’en premier. Côte gardien, on trouve également de brillantes anomalies. Si les penaltys peuvent paraître à l’opinion publique – à tort – comme une roulette russe géante, certains gangsters arrivent à s’en tirer avec brio. C’est le cas de Diego Alves par exemple, ancien portier de Valencia qui accumule 51% de penaltys non réussis face à lui en Liga, dont 49% d’arrêts. Un total impressionnant qui montre bien que malgré son lot de bizarreries, les penaltys sont bien une science, mais presque science-fiction tant le sujet est astronomiquement méconnu.
Spectacle futuriste, le penalty est tout bonnement imprévisible. Si le gardien et l’attaquant s’affrontent pour prédire l’action de l’autre, le spectateur assiste à un spectacle extraordinaire de deux entités voulant forcer le destin. Plus que ça, dans la furie du match, le penalty est une ode au calme incompris, à la réflexion, à l’étude de l’autre et non à l’arrêt réflexe. Un penalty arrêté est un exploit pour un portier, une chose assez rare, tant on s’attend à ce que la logique soit que le tireur marque. Pourtant, la moyenne des arrêts est de 25%, pas si rare donc. La spectacularité de l’arrêt sur penalty provient donc plus du contexte que de la fréquence.
On en revient donc à ce calme avant la tempête, à ce présent interminable avant que la précipitation et l’explosivité du match de football reprennent leurs droits. Le gardien marque en empêchant le tireur de marquer, malgré toutes les circonstances qui jouent en sa défaveur. Plus encore, parfois, le portier se sublime tellement lors de ces cinq travaux d’Hercule qu’il semble en état de transe, comme dans un continuum différent des tireurs.
Un exemple probant de ce phénomène est la performance de l’extra-terrestre Tim Krul lors de la Coupe du Monde 2014. Débarqué à la dernière minute des prolongations, il prédit à chaque fois le côté du tireur, arrêtant accessoirement deux penaltys et qualifiant donc son équipe. Une scène dantesque, puisque si l’on considère que le portier a une chance sur 3 de choisir le bon côté (gauche, droite ou centre), Tim Krul avait une chance sur 250 environ de réussir cette prouesse de prémonition. Prémonition ? Ou plutôt préparation ? Louis Van Gaal a en effet par la suite révélé que ce changement de portier était prévu et que Krul a reçu une préparation spéciale avant le match. Coup de maître donc, démystifiant quelque peu la performance surhumaine de Tim Krul.
Pourtant, Tim Krul est loin d’être un spécialiste du domaine. Avant cette séance, son taux d’arrêt était de 10% seulement et ce malgré les préparations automatiques en club et sélections. Que s’est-t’il donc passé ce soir-là pour qu’il se surpasse ?
Avant de parler des moyens d’action du portier, il est important de mentionner que ce dernier est confronté à une tâche qui le défavorise grandement. Néanmoins, la pression sur le tireur est tout de même non négligeable, surtout sur des séances de tirs au but où l’enjeu est l’élimination ou l’accès à la phase suivante. Aussi, parfois, malgré toute sa bonne volonté, le portier se retrouve impuissant, pris à contre-pied à chaque reprise par exemple, ou confronté à des penaltys parfaitement tirés. Spectateur de sa détresse, son dévouement et sa préparation ne seront jamais récompensés.
Néanmoins, comme évoqué auparavant, il est important pour le portier de rester le plus rationnel possible. Ainsi, dans certains cas, la meilleure des actions est l’inaction : rester spectateur et laisser l’attaquant se dévoiler afin de ne pas négliger la part de tirs au but au centre par exemple. C’est le cas de Jan Oblak qui, lors le la campagne de Ligue des Champions 2015-2016, restera maintes fois volontairement au centre durant la séance, arrêtant d’ailleurs le penalty de Calhanoglu face au Bayer Leverskusen en quarts, technique reprise en finale face au Real Madrid mais sans succès. On voit donc bien que par sa complexité, le penalty oblige le portier à sortir de ses mœurs, d’oser ce qu’il n’oserait naguère.
On peut en effet citer un florilège de biais et de stratagèmes que le portier use pour se jouer des tireurs. On peut en effet citer par exemple le cas de Ricardo, gardien du Portugal à l’Euro 2004 et qui arrête le penalty décisif anglais sans gant. De par cet acte ubuesque, le portier déroute son adversaire. Il faut en effet mettre en emphase l’importance que joue la pression lors d’une séance de penaltys : 16% des penaltys sont arrêtés lors d’un penalty donné dans le cours du jeu, mais le nombre augmente drastiquement à 25% lors d’une séance de tirs au but. De même, déstabiliser le tireur est une pratique largement adoptée par le portier (voir la vidéo de Tim Krul plus haut). Enfin, il existe des biais psychologiques que le portier peut utiliser afin d’améliorer ses chances d’arrêt. Une étude a récemment montré que le fait de se décaler de quelques centimètres sur un côté influençait grandement le choix du tireur, qui généralement tire là où le portier laisse plus de place. Il est donc évident que si le portier peut sembler parfois impuissant, il a clairement son mot à dire lors de ce brouhaha général qu’est la séance de penalty.
Alors, le gardien s’écrie, le gardien hurle, le gardien gueule, mais surtout, il se prépare. Dans ce non-sens général, le portier se doit d’être la voix de la raison. Un penalty est incompréhensible, indéfinissable. Marquant, le spectacle qu’est un penalty pousse le portier à bout, l’obligeant à sortir des sentiers battus : un tir au but s’arrête avant le match, avant le tir, et non pendant. Dire que le penalty est un hasard, c’est un affront aux Diego Alves, Samir Handanovic ou autres spécialistes du genre. Néanmoins, il est important de souligner également que le penalty, de par son caractère désavantageux, frustre également le portier. Il est aussi cruel que somptueux, aussi élégant que barbare, aussi étrange que redondant. Il captive de par son caractère insaisissable, sidère le spectateur, comme un interlude dans ce flot de vagues continues qu’est le football. Le portier s’érige alors en dernier espoir, dernier héros, raide comme une statue, stoïque tel un militaire connaissant ses ordres, et attend. Puis choisit. Le ballon ricoche, sort, le portier se relève, acclamé.
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Photo de couverture : Royal Blue Mersey.
Plein de statistiques sur les penaltys ici.
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