Parmi tous les compartiments de jeu où le portier intervient, le face-à-face est unique. Quoi de plus concret, de plus important que pour le portier de remporter un duel. Une défense dépassée, un attaquant intrépide et un gardien héroïque, chaque face-à-face est unique, comme si l’on ne pouvait reproduire les œuvres d’art que sont les duels. L’attaquant se ruant vers une cage s’offrant à lui, le portier se ruant vers l’attaquant et ce ballon si précieux qui obnubile un stade entier d’heureux témoins. Non, le duel est plus qu’une opposition entre deux joueurs, c’est un délicieux spectacle de convictions et d’envies. Entre fulgurance des gestes et lenteur de la scène, tout devient surréaliste. Pour le portier, le face-à-face est l’occasion de réaliser les prouesses dont il rêve encore et encore. Car quoi de plus décisif qu’un arrêt lors d’un duel, là où tout semble perdu, là où le portier seul demeure dans les tempêtes du terrain ? Survivre à l’assaut si brusque, et se relever triomphant, conscient qu’il vient de sauver ses matelots du naufrage. Plus qu’un duel, le face-à-face est un art cruel où la survie du portier se décide, comme un jugement dernier magnifique.
Si le duel est si important pour le portier, c’est qu’il lui permet de se révéler à l’attaquant comme le cauchemar qui le hantera encore et encore. Une fois le duel gagné, le portier devient gigantesque, presque trop grand pour ces immenses filets. Mentalement, il se crée une inversion de circonstances assez incongrue. De l’attaquant confiant devant transformer le caviar en but naît un être anxieux et tourmenté par ce trivial supplice. Du gardien hésitant s’extirpe une bête sans pitié prête à bondir sur tout ballon comme la proie qu’elle dévore. Aussi, ce duel, en particulier s’il est le premier du match, devient tout simplement primordial. Car s’il existe des instants importants pour le portier, de ce déterminant défi se décide le destin d’un match entier. Un échec et vous voilà regardant ce ballon sombre dans vos filets. Une victoire, et ce sont les flammes de l’enfer qui se déchaînent sur l’attaque adverse.
Et justement durant le face-à face, le portier doit en un éclair déferler sur l’ennemi telle une déflagration. Cette explosivité nécessaire est l’outil principal du portier lorsqu’il faut s’imposer contre cet adversaire si coriace. Bondir sans hésitation, surprendre l’adversaire comme il vous a surpris et se propulser au coeur du danger, comme combattre le feu par le feu. Les secondes du duel sont une éternité pour le portier, un instant pour l’attaquant. Un paradoxe qu’il faut tâcher d’exploiter tant chaque élément est primordial si le gardien veut vaincre. Car la tâche est si rude, si cruelle, si impossible que le moindre détail devient une nécessité.
Dès lors, tout devient permis dans l’ignoble bataille livrée par le portier. Voir le ballon heurter sa tête devient le soulagement d’une vie. Sentir la balle ricocher violemment contre son torse est un hymne à la victoire. Contrer le cuir d’un bout d’orteil délivre un bonheur digne de l’Eden. Si le portier joue pour triompher, quelque soit le moyen, le paroxysme de ce motto réside sans aucun doute dans le face-à-face. Jamais le portier n’a tant ignoré les moyens, tant un beau face-à-face est un face-à-face remporté. Là où l’art est la science de la manière, le portier réussit à marier les deux concepts si antagonistes, tant l’art devient alors la science du résultat. Étrange banalité, le face-à-face exige au portier de se livrer totalement pour triompher.
Mais si le triomphe obsède totalement le portier, il n’en demeure pas moins terriblement désavantagé. Si le poste de portier est une cordillère d’ingratitude, son point culminant est sans conteste le duel. Opposer un homme enchaîné à ses malheureux poteaux qu’il protège tant bien que mal, qui voit arriver à son attaque un homme libre comme l’air, dont la seule limite est l’imagination. Une étendue gigantesque à protéger d’un mal si furtif, si insaisissable. Le face-à-face frappe là où le portier ne s’y attend pas, lorsque le portier ne s’y attendait pas. Aussi, il revient au portier le devoir de se transcender pour espérer réussir l’exploit.
Le mythe du portier surhumain n’en devient que grandit lorsqu’il s’agit pour le portier de devenir cette gigantesque masse, étouffant l’attaquant de son étreinte inarrêtable, comme un trou noir aspirant toute énergie à sa portée. Là où les ballons gravitent, le portier se doit d’être intransigeant et d’attirer tous ces ballons pourtant au départ si lointains. Une énergie réciproque où les deux entités s’attirent. Aussi, il n’est pas étonnant de concevoir le duel comme l’infinie étendue de l’univers contre le gardien et sa galaxie qu’il tente de protéger. Une éternelle course à l’explosivité, afin de gagner ce millième de degré d’angle qui transforme le portier en aveuglante nébuleuse au milieu de ce spectacle étoilé.
Ter Stegen, spécialiste des duels et toujours impeccable sur la couverture d'angle.
Néanmoins, la lourdeur de ce déséquilibre pèse parfois bien trop pour le portier. De voir cette boule de feu au sang froid qu’est l’attaquant s’avancer vers les buts, sachant que de simplement glisser le ballon suffit à tromper le plus vigilant des portiers, que le plus vigilant des portiers s’y attende parfaitement sans parfois pouvoir y remédier, tel est le supplice qui nous habite. Habituelle surprise que de voir cet être ignoble profiter de son avantage en vous assénant cet évident coup poignard dans le dos. Impensable évidence que de le voir feinter la frappe pour ensuite qu’il dribble, lâche qu’il est de ne vouloir combattre. Le portier subit tant d’affronts cruels que la torture de chaque nouveau duel devient trop lourde pour ses ailes.
Aussi, de ce constant combat émane cette question : comment diantre lutter contre cette procession de maux qui profanent l’esprit si pur et ingénu du portier ? Car – comme dirait si bien Verlaine dans Marine, Poèmes Saturniens – cet attaquant qui en bonds convulsifs, fend le ciel de bistre, comme un éclair zigzaguant sur ce gazon n’est que le début du firmament qui pèse sur le portier. En cet instant fatidique, le portier vêtu de ses craintes s’habille de milles couleurs d’angoisses, et c’est un arc-en-ciel de malheur qu’il porte lourdement, menaçant de s’écrouler formidablement. Et c’est toute l’adversité d’un monde qu’il combat, tel le paratonnerre pourtant si petit calmant la fougue de l’ouragan.
Et là, soudain, le portier se mue. Ni une ni deux, le calme devient tempête. Car si le portier s’inscrit dans un profond ensemble d’analyse, de réflexion et de sérénité, il devient parfois une déferlante sans limites. L’aggressivité, cette ode à la violence, nous est tellement nécessaire dans ce combat sans pitié qu’elle devient presque naturelle. Percuter l’attaquant de plein fouet, jaillir sur lui tel un fauve, répondre au feu par le feu. Adorer cette violence, bénir cette aggressivité, vénérer cette détermination qui consume le gardien. Un fracas, un duel, et il bondit, vite, trop vite, l’attaquant frappe, le ballon file, le temps défile, l’arrêt se profile. Le ballon rebondit, se meurt de cet échange de barbarie entres les deux protagonistes. Le duel, c’est aussi la victoire du plus fort.
La performance de Joe Hart contre le Barca, éloge du face-à-face remporté.
En réalité, si le portier accorde autant d’importance aux duels, c’est qu’ils sont le reflet de nos convictions. Une complexité incroyable et unique à chaque face-à-face se naît et ce en quelques instants. Ce miracle de la vie, qui exige du portier et de son adversaire de marier les plus antagonistes des principes se veut plus beau spectacle du monde. Le triomphe en est décuplé, tant la scène est grande et belle, tant l’enjeu est beau et grand. Aussi, pour nous portiers, il n’existe de plus bel honneur que la victoire, et de plus belle récompense que la victoire de notre honneur.
Crédit photo : Libertadigital
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