Nous sommes en Décembre 2017, le nom du Ballon d’Or vient d’être révélé. Le gagnant est Gianluigi Buffon. Le mythique gardien de la Juventus de Turin vient enfin d’être sacré au crépuscule d’une carrière exceptionnelle. Après avoir tout gagné, du Scudetto à la Coupe du Monde en passant par la Ligue des champions qu’il vient de s’adjuger contre le Real Madrid, il reçoit enfin le sacre suprême, le graal des récompenses individuelles. Il ne peut cacher son émotion en soulevant le trophée.
Ce scénario relève encore de la fiction à l’heure où ces lignes sont publiées, mais personne ne pourra clamer que le gardien italien ne mérite pas de vivre ce moment. Buffon est un gardien exceptionnel, qui ambitionne de jouer jusqu’à quarante ans comme son illustre prédécesseur, Dino Zoff. Occupant le même poste, au même club, la Juventus de Turin, il gagna le titre de champion du monde avec la Squadra Azurra en 1982 à l’âge de…quarante ans. Ne vous y trompez pas, Dino Zoff était un monstre. Sa légende s’est notamment écrite contre le Brésil en 1982, considérée par certains comme la meilleure équipe de tous les temps, qu’il écœura pour permettre à son équipe de s’imposer après un quasi attaque/défense tout le match. Il y a manifestement une école de gardiens en Italie, aussi élégants qu’efficaces, que nous allons essayer de décrypter.
C’est le point commun entre ces deux grands gardiens. Dino Zoff n’était pas spectaculaire. Il n’était pas félin et n’avait pas d’arrêt légendaire à son actif comme la parade de Gordon Banks, le portier de l’équipe d’Angleterre, face à Pelé en 1970. Il n’avait pas non plus une amplitude extraordinaire. Mais il donnait l’impression de tout arrêter, de dégoûter les attaquants adverses car il se trouvait sur la trajectoire de toutes les frappes. Gigi Buffon avait, lui, beaucoup d’amplitude et de vivacité, qu’il démontra avec sa parade légendaire sur la tête de Zinedine Zidane en finale de la Coupe du Monde 2006. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il demeure pourtant l’un des meilleurs gardiens du monde, grâce à sa lecture du jeu.
Cette caractéristique est partagée par les deux gardiens, et elle est comparable à des joueurs de poker lisant le jeu de leur adversaire, comme leur compatriote champion de la discipline Luca Pagano. Anticiper, lire les frappes de ses adversaires est donc essentiel, les gardiens italiens vous le diront. L’autre caractéristique essentielle est l’art de se placer vite. Et là encore, pour les deux portiers, le constat est le même. Pas d’envolée de cascadeur, juste une grande maîtrise du déplacement et des pas chassés. Cela leur permet de se mouvoir vite sur la ligne et d’avoir quelques millièmes de seconde supplémentaires pour décomposer leur mouvement d’arrêt. Une bonne lecture du jeu, combinée à la maîtrise des pas chassés pour se déplacer, est l’assurance d’avoir la prestance d’un gardien de but transalpin, mais surtout d’écœurer les attaquants adverses. Ce qui reste l’objectif numéro un en tant que dernier rempart.
C’est l’un des points les moins évoqués par les analystes s’étant penchés sur les performances des deux champions. Le Buffon de 2017 et le Zoff de 1982 ont une grande complicité avec leurs défenseurs centraux. La défense centrale de la Juventus, astucieusement nommée la BBC (Leonardo Bonucci, Andrea Barzagli et Giorgio Chiellini) est non seulement l’une des meilleures d’Europe mais elle joue avec son gardien depuis des années. Dans les années 1980, Dino Zoff possédait aussi sa défense de grognards avec laquelle il a évolué une grande partie de sa carrière, composée d’Antonio Cabrini, Claudio Gentile et de Gaetano Scirea.
Pourquoi une grande connaissance de vos défenseurs, notamment des centraux, est elle si importante ? Car, lorsque vous êtes portier, vous n’êtes en réalité qu’un maillon de la défense. La qualité de cette dernière dépend en premier de la cohésion de tous ses éléments. Prenons un exemple. Un attaquant adverse est lancé en profondeur et a pris de vitesse le défenseur, il se dirige vers un duel avec le gardien de but. Le défenseur battu revient également sur l’attaquant et le rattrape, puisqu’il ne doit pas porter le ballon. Deux équipiers à la bonne entente peuvent instinctivement anticiper chacun d’un côté. Le gardien pourra ainsi se coucher sur la droite de l’attaquant et le défenseur concentrer sa course sur le côté gauche. De plus, c’est souvent ce genre de duels perdus ou gagnés qui font basculer le scénario d’un match.
Là encore, un point commun entre ces deux joueurs ou, plutôt, ces deux hommes : une classe, un respect et un fair-play qui leur ont valu, leur valent et leur vaudront de perpétuelles louanges ; jamais une protestation, bref, des seigneurs. Et si cette caractéristique est plutôt inhérente à leur personnalité, elle renforce considérablement leur aura sur un terrain. Car cela se manifeste sous la forme d’un flegme absolu. Et ce flegme est un message envoyé aux adversaires, comme peut en témoigner Monaco, battu sèchement 2-0 en demi-finale aller de la Ligue des Champions. Démenez-vous en attaque, combinez tant que vous le voulez, cela ne me dérange pas du tout. Je suis serein en somme, ce qui assomme psychologiquement les adversaires. Pour résumer, adopter cette attitude donnera aux attaquants adverses une impression de contrôle et de positivité, ce qui renforcera votre charisme. À l’heure où le football vit des épisodes de violence de plus en plus fréquents (bagarre générale lors de Bastia-Lyon, bombe explosant sur le passage de joueurs de Dortmund pour aller au stade….) une attitude zen, même à petit niveau, ne sera pas malvenue. C’est par une accumulation de petits gestes positifs que l’on pourra redorer le blason de ce sport.
Pas besoin d’être un chat ou un cascadeur pour devenir un grand gardien, donc. Attitude positive, lecture du jeu et déplacements rapides, tout cela combiné à une grande connaissance de vos défenseurs centraux : voilà les points importants pour ressembler à un grand gardien italien. En prenant un peu de recul, on s’aperçoit que ces éléments sont tous enseignés dans les écoles de football françaises. Cependant les grands gardiens français ont toujours plus brillé par leurs cascades et leur coté félin, de René Vignal, le français volant, à plus récemment Bernard Lama, le gardien du Paris-Saint-Germain des années 1990.
Le gardien actuel des bleus, Hugo Lloris, ressemble un peu plus à ces deux légendes. De là à imaginer que le nouveau Dino Zoff sera français, il n’y a qu’un pas. Si les meilleurs jeunes joueurs sont tricolores (MBappe, Lemar, Moussa Dembele….), être accompagné d’un grand portier ne fait jamais de mal…