Comme le dit Jérémie Janot : “Steeve Elana est un chat”. Sur le terrain c’est un chat monté sur ressorts, très athlétique et spectaculaire, qui sort les griffes pour stopper chaque ballon, et ce, depuis de nombreuses années et plus de 400 matchs. En dehors du terrain, c’est un chat beaucoup plus docile qui apprécie les rapports humains et la proximité des supporteurs. Ce soir de printemps, après avoir couché ses enfants, Steeve accepte de répondre aux questions de MO.
Steeve, quel est ton parcours avant d’accéder, à 19 ans, au centre de l’OM ?
Je suis un gamin issu du football amateur. Malgré quelques essais à 13-14 ans, je n’étais pas prêt psychologiquement et mentalement pour intégrer un centre de formation. A 16 ans je quitte Paris pour rejoindre une filière sport étude et parallèlement, je joue le week-end au FC Burel et à l’US Endoume. L’OM me remarque et je signe ainsi mon premier contrat pour jouer en CFA.
Puis tu as une rapide progression linéaire…
Oui, je gravis les échelons un à un. Après une jolie saison à Valence en national, où l’on accède à la Ligue 2, je pars à Caen, doublure de Jean-Marie Aubry. Là encore je connais une montée, puis je signe à Brest, un club charnière pour moi. Il y règne une chaleur humaine particulière : le club est familial et très proche de son public. J’y passe sept années merveilleuses, puis le LOSC me propose un nouveau challenge palpitant. Le club, entraîné par Rudy Garcia, est alors champion sortant et qualifié pour la Ligue des Champions. Les infrastructures sont magnifiques et je joue avec de nombreux joueurs internationaux.
Au LOSC tu es doublure de Mickaël Landreau puis de Vincent Enyeama. Quel regard portes-tu sur ces deux gardiens ?
J’étais heureux de pouvoir m’entraîner au quotidien avec un gardien comme Mickaêl, curieux de voir comment il gérait cette longévité au haut niveau. C’est quelqu’un de très simple, ça a été très enrichissant. Avec Vincent, on est très proche, avec un tempérament identique et il y a un soutien et un respect mutuel dans les bons et les mauvais moments. Je suis admiratif de son travail effectué car ça n’à pas été toujours facile pour lui.
Pourquoi quittes-tu Lille pour ce challenge à Ajaccio, en Ligue 2 ?
J’aimais mon quotidien à Lille, mais en jouant si peu j’ai senti un manque et je n’arrivais plus à m’exprimer. Je n’étais plus totalement épanoui. J’avais envie de jouer davantage et les dirigeants Lillois l’ont compris. Aujourd’hui, je donne tout au quotidien pour aider le club d’Ajaccio où je me sens bien physiquement et mentalement. A 36 ans ce n’était pas évident d’être recruté pour être titulaire. Je veux les remercier et donner raison aux personnes qui m’ont fait confiance.
Quels sont les entraîneurs de gardiens qui ont compté pour toi ?
Sincèrement, tous m’ont apporté quelque chose. J’ai toujours été reconnaissant des personnes qui prenaient du temps pour m’entraîner spécifiquement. Certains ont été déterminants pour mon évolution à des moments charnières comme Marc Lévy à l’OM. Puis quand Julien Lachuer a commencé sa reconversion d’entraîneur, notre complicité, en tant qu’anciens partenaires, nous a été bénéfique mutuellement. Il me connaissait parfaitement, il a donc pu faire ses gammes en me faisant progresser.
En 2010 tu es élu meilleur gardien de Ligue 2 aux trophées UNFP et meilleur gardien de Ligue 1 aux étoiles France Football deux ans plus tard. Comment réagis-tu ?
Avoir été reconnu par les joueurs du championnat, comme le meilleur gardien est forcément une grande satisfaction, une grande fierté pour moi. Terminer premier de Ligue 1 aux étoiles FF est aussi très valorisant, mais j’ai pris cette récompense avec davantage de recul. J’étais surtout très heureux que mes performances contribuent au maintien de l’équipe. C’était la cerise sur le gâteau, je terminais l’aventure avec mon club de coeur, Brest, de la plus belle des manières.
Tu as joué en pantalon au début de ta carrière ce qui est très rare au haut niveau. Pourquoi ?
C’était juste une sensation de bien être, il n’y avait pas d’aspects techniques. Il y a quelques années nous avions la chance de pouvoir choisir entièrement nos tenues, le design comme les couleurs et je trouvais que ça donnait un côté fun au poste. En pantalon, je me sentais à l’aise, protégé. Puis mon équipementier à arrêté la production. J’ai alors joué en bermuda pour un changement en douceur, et maintenant je préfère le short… je me sens plus léger ! (rires)
Tu es très apprécié de tes coéquipiers, quel est ton comportement dans un groupe ?
Avec l’âge et l’expérience, ça évolue. A la base dans un vestiaire, je suis discret mais je veux être celui sur qui mes coéquipiers peuvent compter, sur et en dehors du terrain. J’ai été élevé comme ça, les relations de confiance sont primordiales pour que je puisse donner le meilleur de moi-même. A chacun de mes transferts, ma tête souhaitait partir mais mon cœur voulait rester. J’étais conscient de ce que m’avait apporté chaque partenaire, j’avais besoin de leur expliquer mon choix pour avoir leur avis et partir sereinement.
Tu participes à des actions caritatives, quel est ton rôle ?
Oui à titre personnel je me suis déjà investi pour soutenir diverses associations. La dernière en date a pour but de promouvoir le football pour des handicapés en fauteuil. J’aide à leur développement pour essayer de créer un championnat. Il y a deux ans j’ai organisé un match à Rouen. J’étais le relais entre les pros et l’association, c’était une jolie fête du football.
Steeve Elana – Photo : MadeinFOOT
Aurais-tu aimé jouer à l’étranger ?
Oui, en début de carrière l’Angleterre m’attirait pour découvrir une autre culture et un football différent. Il y a 4 ou 5 ans j’ai eu des propositions Turques mais j’ai choisi le projet Lillois. Les Etats-Unis est une destination qui me tente aussi : je trouve leur vision future intéressante. Ils investissent beaucoup dans les infrastructures et dans les staffs qui encadrent les joueurs.
Tu joues pour l’équipe de la Martinique au milieu de joueurs amateurs. Pourquoi ?
Je suis très fier d’avoir porté ce maillot mais ce n’est pas reconnu par la FIFA. Le calendrier n’était pas adapté à celui de la Ligue 1, alors Brest ne me libérait pas. Comme à Lille je jouais moins, René Girard m’a donc encouragé à y aller. Je me sentais utile, les joueurs Martiniquais étaient avides de conseils. Et puis c’est enrichissant de jouer avec des amateurs, on relativise certaines choses et on se rend vraiment compte de notre chance.
Quels sont tes meilleurs souvenirs ?
Ce sont les montées et j’ai eu la chance d’en vivre beaucoup avec Valence, Caen et Brest. Ce qui restera gravé en moi à tout jamais, c’est la montée avec Brest. Ce jour-là, j’ai vraiment pris conscience du bien que l’on faisait à une ville, à une région entière. Le soir on est parti en bus du stade à la mairie, en croisant sur le chemin 20 000 à 30 000 personnes… C’était inoubliable, il y avait une communion entre tous. Les plus jeunes allaient voir jouer l’OM, Lyon, Paris …comme leurs parents ou grands-parents vingt ans plus tôt. C’était une joie immense de participer à cette aventure et de leur offrir ce cadeau. Faire plaisir aux gens, il n’y a rien de mieux.
Tu as 37 ans, penses-tu à ta reconversion ?
J’espère pouvoir jouer encore deux ou trois ans. J’ai en parallèle, participé à une formation “organisation et gestion sportive” avec l’UNFP. Je ne pense pas vouloir être entraîneur, mais plutôt travailler dans l’ombre. Je souhaite participer à une stratégie de développement d’un club, à son image pour qu’il y ait un lien fort entre le club, les joueurs et les supporteurs.
Dans quel club prestigieux as-tu failli signer ?
Point de vue prestige je dirais l’OM. Au moment de signer à Lille, j’étais en contact avancé avec Marseille mais j’ai jugé le projet sportif Lillois, à l’époque en ligue des Champions, plus attrayant.
Pour terminer, as-tu un petit message pour les lecteurs et auditeurs de Main Opposée ?
Tout d’abord bravo à toute l’équipe de Main Opposée de mettre en avant le rôle de gardien, que ce soit amateur ou professionnel, car au final c’est le même poste. On se sent parfois délaissé ou en autarcie. Aux lecteurs, je veux leur dire de continuer à prendre du plaisir à vous lire ou écouter vos conseils. Quelque soit notre parcours, avec du travail on peut atteindre notre rêve. Le foot professionnel n’est pas réservé à une élite de joueurs qui a intégré un centre à l’âge de treize ou quatorze ans. Le milieu amateur dégage beaucoup de valeurs essentielles. Aujourd’hui un jeune de 19, 20, 21 ans ou plus, qui joue en CFA, CFA2 ou DH et qui fait un bon parcours en coupe de France, peut se faire repérer par un club et gravir les échelons de cette manière.
Nous remercions Steeve Elana pour le temps qu’il a consacré à cette interview et lui souhaitons le meilleur avec le GFC Ajaccio en cette fin de saison.
Photo couverture : GFCA-foot.com