Le choc entre les deux derniers champions d’Angleterre promettait un match de haut vol, d’autant qu’une référence au poste de gardien avait pris place au coup d’envoi de chaque côté du terrain. Dans le coin Reds : Alisson Becker, l’homme qui valait 72,5 millions, deuxième plus haut montant jamais payé pour un gardien (seul Kepa le devance avec un transfert à Chelsea pour 80 millions). Dans le coin Skyblues : Ederson Moraes, détenteur de la plus longue relance jamais enregistrée par le Guinness Book des records : 75,35 mètres. Un duel fratricide dans ce match au sommet que l’on annonçait passionnant tant les deux brésiliens se tirent la bourre pour occuper la place de numéro 1 dans les buts de la Seleçao brésilienne.
Invaincu à Anfield face au Skyblues depuis 2003, les Reds allumaient les premières mèches aux alentours de la demi-heure de jeu par l’intermédiaire de Sané, à la réception d’un centre exquis d’Alexander-Arnold mais qui ne parvenait pas à cadrer sa tête, puis sur une demi-volée de toute beauté de Firmino qu’Ederson, vigilant, put claquer en corner des deux mains. Un arrêt rendu facile par la qualité du placement du portier auriverde et qu’on pensa quelques instants déterminant lorsque Sterling, ancien coéquipier d’Allison, se fit faucher dans la surface des Reds par Fabinho, mais il n’en sera rien. Inspiré, l’ancien gardien de la Roma se détend sur sa droite et voit la frappe de Gündogan s’envoler du même côté dans les travées d’Anfield. Bien qu’il n’a pas touché le ballon, Alisson remporte ce duel psychologique face au joueur mancunien, duel suite auquel Pep Guardiola ironisa en fin de match, expliquant qu’il envisagerait de faire tirer son gardien la prochaine fois qu’un penalty serait sifflé en faveur de ses hommes en championnat.
Score nul et vierge à la mi-temps, deux gardiens efficaces sur le pré, tout reste à faire dans ce choc anglais de Premier League, mais la deuxième mi-temps sera d’un tout autre acabit pour nos gardiens brésiliens qui connaitront, à la surprise générale, des fortunes bien diverses. En effet, si Ederson continuera son récital en terre liverpuldienne, Alisson va tout simplement enterrer les espoirs de victoire de son équipe sur deux erreurs de relances hallucinantes, faisant de sa prestation un cauchemar pour lui, ses coéquipiers et ses supporters qui ont, à en croire les réseaux sociaux, eu une pensée pour Loris Karius et sa prestation indigente en finale de Ligue des Champions face au Real Madrid en 2018, celle-là même qui justifia son départ et l’arrivée au club du gardien brésilien. Une analyse cruelle de la vox populi pour celui qui fut décisif à maintes reprises, tant dans la conquête du titre européen il y a deux ans que dans le sacre des Reds la saison passée en Premier League, mais qui, à bien y regarder, n’est pas entièrement injustifiée tant Alisson s’est emmêlé les pinceaux (et les pieds) dans ce choc au sommet.
S’il ne peut être incriminé sur le premier but encaissé où la complexité de l’action ne lui permet pas de repousser le ballon dans un espace libre malgré un superbe arrêt, le portier des Reds est retombé dans un de ses travers habituels avant de voler en éclats.
Dans un interview accordé à Eurosport au mois de novembre dernier, Thierry Barnerat, instructeur FIFA pour les gardiens de but, expliquait qu’à contrario de son compatriote et adversaire du week-end, « Alisson Becker s’informe mal dans les situations d’urgence et se retrouve fréquemment en difficulté ». Contacté par notre équipe, il poursuit : « Le gardien de but doit lire l’intention de son défenseur de lui donner le ballon afin de prendre les informations sur le jeu et savoir quels sont les joueurs et les espaces libres. Puis, au moment de la passe, il est essentiel que le gardien de but soit orienté à plat pour voir l’ensemble du jeu, notamment le côté opposé, afin de relancer dans les meilleures conditions.
Si l’on compare les deux gardiens brésiliens, Ederson lit systématiquement l’intention de son défenseur, ce qui lui permet de prendre les informations sur le jeu, de s’orienter dans le bon espace et d’orienter son corps pour être face à l’ensemble du jeu alors qu’Alisson se retrouve automatiquement en retard sur le jeu car il ne lit pas l’intention de son défenseur, n’est donc pas en capacité de lire les informations et, par conséquent, n’est pas orienté dans le bon espace et ne se retrouve pas face à l’ensemble du jeu, se coupant par là même tout le champ visuel à l’opposé. Ainsi limité dans les possibilités que le jeu lui offre, c’est ce qui le pousse à réagir dans la précipitation s’il est mis sous pression et peut provoquer ce type d’erreurs. »
La grande différence entre les deux portiers brésiliens dans ce type de situation résiderait donc dans leur capacité à lire l’intention de leurs coéquipiers. A la vue des images, la différence saute aux yeux et l’on comprend mieux pourquoi et surtout comment Alisson s’est pris les pieds dans le gazon. Sur le deuxième comme le troisième but de Manchester City, ce retard du dernier rempart liverpuldien sur le jeu est flagrant. Allison ne lit pas l’intention de passe en retrait de son partenaire, n’est pas face au jeu et se coupe tout le côté opposé. Pire encore, sur le deuxième but des Citizens, alors que Foden est le long de la ligne de fond encadré par plusieurs défenseurs de Liverpool, Alisson avance et sort de son poteau pour aller au duel, ouvrant ainsi le but donnant la solution à l’attaquant alors qu’il aurait dû rester sur ses appuis pour couper le centre en retrait. Atteint psychologiquement par ces multiples erreurs, Allison ne refera jamais réellement surface dans ce match et encaissera un nouveau but en descendant sur ses appuis sur la frappe de l’intenable Foden. Cette fois, c’est l’absence d’ancrage psychologique qui le poussera à la faute face à une frappe qu’il aurait probablement su repousser sans le passif émotionnel accumulé au fil de la rencontre.
Malchanceux sur le premier but, doublement coupable sur le second, impliqué sur le troisième et crucifié sur le quatrième et dernier but des joueurs de Pep Guardiola, Alisson aura vécu un après-midi cauchemardesque comme il n’en avait encore jamais vécu de l’autre côté de la Manche. Au-delà des points perdus sur sa pelouse par Liverpool face à un concurrent direct pour le titre de champion d’Angleterre, le portier brésilien des Reds a également perdu l’occasion de faire vaciller la hiérarchie dans les buts auriverde face à son concurrent direct Ederson. Un constat lourd et difficile à encaisser à l’approche des huitièmes de finale de Ligue des Champions qui verront Liverpool et Leipzig s’affronter dans huit jours si la pandémie de Covid-19 le permet, mais nul doute qu’Alisson saura rebondir dès ce week-end face à Leicester pour prouver à ses néo-détracteurs, et ce sera le MO de la fin, qu’il fait toujours bel et bien partie de la crème des portiers.
photo de couverture : eurosport.com