La crise sanitaire du Covid-19 et le confinement ont mis à mal le quotidien de chacun, et notamment celui de nos gardiens et de leurs entraineurs. Ainsi, les entraineurs de gardiens font face à un challenge de haut vol à l’heure de proposer des séances de qualité à distance, et sans pouvoir intervenir pour apporter corrections et conseils à l’instant T. Quant aux gardiens de but, comment s’entraîner lorsque l’on est enfermé chez soi le plus clair de son temps, sans possibilité de se rendre sur le terrain d’entraînement ? Comment poursuivre sa progression malgré les interdictions ?
Le Paris FC n’a plus foulé ses installations depuis le 17 mars 2020, mais Mickaël Boully, entraîneur des gardiens, continue de proposer chaque jour de nouveaux exercices à ses portiers, basés sur les référents cognitifs du poste, la prise d’information, le développement de la perception, toujours en relation avec le jeu.
Entretien avec l’entraîneur parisien et témoignages de ses gardiens Vincent Demarconnay et Anthony Maisonnial, pour une plongée au cœur des méthodes d’entraînement novatrices du pôle gardiens du Paris FC.
Main Opposée : Bonjour Mickaël, comment travaille-t-on lorsque l’on est confiné sans possibilité de voir ses gardiens ?
Mickaël Boully : Je suis en contact quotidien avec mes gardiens. C’est essentiel pour maintenir la cohésion, échanger et leur permettre de continuer leur progression malgré les conditions actuelles.
Avec le confinement, on bosse encore plus pour trouver des idées, de nouveaux entraînements. Einstein disait que « la créativité, c’est l’intelligence qui s’amuse », alors on fait fonctionner la matière grise. C’est un vrai challenge qui nous oblige à nous réinventer, mais c’est aussi ce qui le rend passionnant. Cependant, ce travail sous le régime du confinement est en réalité un prolongement de nos méthodes habituelles.
MO : Tu travailles beaucoup sur les aspects cognitifs du poste et le développement de la perception de tes gardiens. Pourquoi ?
MB : C’est le cerveau qui nous permet de comprendre notre environnement et d’agir en conséquence. Autrement dit, on ne voit pas uniquement avec ses yeux, mais grâce à son cerveau. Si on ne comprend pas ce que l’on voit, on ne peut pas traiter l’information. Si un gardien n’arrive pas à traiter l’information, il ne pourra donc pas être performant.
À mes débuts, je pensais que le gardien de but percevait le ballon en mouvement et réagissait pour y faire face, mais cette vision intuitive et simpliste ignore fondamentalement les indices visuels et environnementaux liés aux situations de match. En réalité, le pied d’appui, la jambe de frappe, l’alignement des hanches, le mouvement des bras ou encore le mouvement des yeux sont autant d’éléments qui favorisent la prise de décision de l’athlète, qu’il soit gardien de but, joueur d’échec ou tennisman. C’est ce qu’on appelle la perception avancée et elle ne s’acquière que grâce à des heures de pratique délibérée.
Mon objectif est donc de comprendre comment chacun de mes gardiens fonctionnent, d’analyser individuellement les préférences motrices naturelles et les stratégies cognitives de chacun d’entre eux. C’est essentiel afin de leur proposer des exercices adaptés à leurs spécificités propres pour ne pas dénaturer le gardien et lui laisser sa part d’instinct, de créativité, tout en gardant à l’esprit la relation entre le jeu, qui est notre source principale, la tactique et l’apprentissage du gardien de but.
MO : Comment cela se traduit-il dans ton travail au quotidien ?
MB : Je cherche sans cesse à intéresser mes gardiens à la manière dont on joue, à les solliciter sur la façon dont jouent nos adversaires, sur les chemins préférentiels de nos joueurs et ceux de nos adversaires, etc… C’est primordial, car tous ces éléments sont essentiels à la performance.
Avec cette période de confinement, il a fallu faire preuve d’imagination et de créativité car nous ne savions pas si le championnat allait reprendre, quand serions-nous autorisés à s’entraîner collectivement. Face à tant d’incertitudes, maintenir en éveil un maximum de repères cognitifs est un axe prioritaire de travail afin de limiter les effets de cette longue période creuse et favoriser la reprise à la compétition.
MO : Peux-tu nous parler d’un exercice que tu as mis en place durant la période de confinement ?
MB : Anthony (Maisonnial, ndlr) est un grand fan de pétanque. Il y jouait régulièrement chez lui pendant le confinement, alors j’ai décidé de mêler l’utile à l’agréable en lui proposant un exercice sur la profondeur reprenant les éléments de la pétanque. Il doit réaliser des « carreaux » sur des boules situées face à lui, sur sa gauche et sur sa droite tout en gardant les épaules face au jeu. Seuls les yeux doivent bouger.
À deux, une variante est possible en plaçant plusieurs zones sur le côté du gardien, dans sa périphérie. Le gardien, immobile, doit annoncer la zone dans laquelle la boule du tireur va atterrir, ce qui lui permet de développer sa vision.
Il existe une infinité de possibilités. Compte tenu du contexte actuel, je me dois d’être créatif et de trouver un lien avec le terrain, un parallèle, une action de jeu qui s’y réfère.
La “pétanque cognitive gardien” est un exercice cognitif portant sur l’analyse des trajectoires de ballons dans les différentes profondeurs en variant les distances à 10-15-20 mètres, comme en match. La pétanque n’est pas l’élément principal. Le plus important, c’est la tactique : Anthony doit identifier la trajectoire de la boule de la personne qui joue face à lui, comme si un attaquant mettait le ballon dans la profondeur pour un autre. L’important est que chaque exercice soit par la suite transférable sur le terrain.
Je t’en enverrai d’autres consacrés aux ballons aériens et le cognitif (voir ici). J’ai également toute une série consacrée au jeu au pied, qui est un outil indispensable à la panoplie du gardien dans le football moderne. Elle est composée d’exercices portant sur l’utilisation de l’espace, comment se démarquer, etc…
MO : D’où te vient cette réflexion sur l’aspect tactique de l’entraînement du gardien de but ?
MB : Je suis un passionné de tactique et de stratégie mais ma base de réflexion, c’est le football. Je m’intéresse notamment au travail de Pep Guardiola et aux méthodes du portugais Vitor Frade pour transmettre à son équipe son idée de jeu, c’est-à-dire la tactique, la stratégie et la méthodologie mises en place pour déséquilibrer un adversaire et gagner le match. Une fois l’idée de jeu connue, on peut extrapoler le rôle du gardien de but dans le socle collectif de l’équipe.
Et puis il y a bien sûr les différentes formations, comme la formation FIFA UEFA Goalkeepers Pro proposée par la Fédération Française de Football que je suis actuellement, mais aussi les rencontres, les échanges avec d’autres entraîneurs de gardiens, avec des spécialistes et scientifiques dans différents domaines précis. J’ai également suivi une formation sur les techniques d’optimisation du potentiel issue de l’armée française.
Toutes ces sources d’informations sont un enrichissement permanent et me permettent d’avoir de nouvelles idées par rapport au rôle du gardien, de développer des stratégies tant visuelles qu’intellectuelles pour que le gardien qui jouera soit le mieux préparé tactiquement face aux situations que nous proposera l’équipe que l’on va affronter, aussi bien défensivement qu’offensivement.
MO : Tu adaptes tes séances spécifiques en fonction des particularités de l’adversaire ?
MB : Comme je te disais, je suis un passionné de stratégie. En réalité, un match de football est comme un combat militaire. Deux équipes/armées s’affrontent sur un terrain/champ de bataille délimité. Pour l’emporter, l’entraîneur/chef des armées a une stratégie : marquer des buts et ne pas en encaisser. Pour ce faire, il dispose de différentes tactiques pour, offensivement, déséquilibrer le bloc adverse et marquer des buts et défensivement, repousser le bloc adverse et défendre son but. Les joueurs/soldats doivent donc connaître les stratégies et tactiques de leur équipe, mais également celles de leur adversaire afin de pouvoir sortir vainqueur. Il en va de même pour le gardien, et c’est mon rôle au quotidien.
MO : L’entraîneur des gardiens va-t-il troquer sa paire de gants pour une blouse de scientifique ?
MB : Je ne suis pas scientifique, chacun sa spécialité, mais lorsque celles-ci sont complémentaires, il serait dommage de s’en priver. Je travaille donc avec des scientifiques spécialisés dans différents domaines précis. Grâce à leur aide, je peux référencer tous ces éléments sur un logiciel que je possède et qui nous permet, à moi comme aux scientifiques associés, de suivre l’évolution de chacun des gardiens à distance. Comme dit l’adage : « Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. »
MO : Salut Anthony, il paraît que tu es un grand amateur de pétanque…
Anthony Maisonnial : C’est une vraie passion, un sport qui me détend. J’avais même une licence à une époque. Je faisais des concours quand j’avais des jours de congés. Et puis, c’est un sport où je ne crains pas de me blesser ! [rires]
MO : Mika t’a conçu un exercice sur mesure pendant le confinement. Peux-tu nous parler de la “pétanque cognitive gardien” ?
AM : Déjà, il faut le savoir que j’aime ce sport ! C’est important d’avoir un coach qui s’intéresse à l’homme au-delà du sportif, c’est un des points forts de Mika.
Un jour, j’ai envoyé sur notre groupe de discussion “gardiens du Paris FC” une vidéo où j’enchaînais les carreaux dans mon jardin. Mika l’a vu et m’a répondu directement : “je vais te faire un exercice”. Quelques jours plus tard, la “pétanque-gardien” était née.
MO : Alors, verdict ?
AM : Celui qui ne connaît pas la pétanque ou ne joue que deux fois par an l’été au camping, ce n’est même pas la peine d’essayer !! [rires] Plus sérieusement, c’est super de pouvoir m’entraîner en mélangeant les univers de mes deux plus grandes passions. Cela ne fait que quelques jours que j’ai commencé. C’est dur d’être précis côté croisé car il faut garder les épaules face au jeu, mais je vais m’améliorer avec la pratique et surtout, je m’amuse en travaillant.
MO : Et toi Vincent, comment as-tu vécu cette période de confinement ?
Vincent Demarconnay : La plus grande contrainte c’est l’espace, mais j’ai la chance d’avoir déménagé il y a peu et d’avoir un jardin. À un mois près, j’étais enfermé en appartement. Côté football, le ballon nous manque bien sûr, mais l’objectif est de rester connectés et de se sentir prêt pour une éventuelle fin de saison puisqu’aucune décision n’avait encore été prise quant à l’issue du championnat. Au-delà du travail d’entretien physique, Mika nous a donné pas mal d’idées pour nous maintenir en éveil, notamment sur la prise d’informations et la réactivité.
MO : Comment mets-tu en place les exercices pratiques proposés par Mika sans matériel à disposition ?
VD : Avec les mesures de confinement, ce n’est pas toujours facile, mais on s’adapte avec ce qu’on trouve à la maison, avec les objets du quotidien. Pour remplacer les fils, j’utilise des pelotes de laine, pour représenter les coupelles, j’utilise les jouets des enfants, etc… On ne peut pas toujours faire du copier/coller et c’est tant mieux. Le plus important est de voir le chemin que nous montre Mika et s’adapter.
Cela nous a d’ailleurs donné une idée avec ma femme et on a créé un petit jeu pour faire un travail visuel à partir des figurines de la ferme des enfants : elle lance en l’air cinq personnages (le fermier, la poule, la vache, le cochon et le cheval) en nommant deux d’entre eux que je dois rattraper avec telle ou telle main avant qu’ils ne tombent.
MO : L’idée est géniale ! Tu as d’autres idées d’exercices fait-maison ?
VD : Ma femme et moi sommes fans des livres “Où est Charlie ?”. On a toute la collection et s’amuse à se chronométrer l’un après l’autre pour retrouver tel ou tel personnage. C’est ludique, on s’amuse et on fait un travail visuel. Sinon, quand tu gardes tes enfants qui sont jumeaux et en bas âge, tu es en situation de prise d’informations permanente. C’est pas mal aussi ! [rires]
MO : Mika vous a également demandé des rapports d’observation…
VD : Oui, Mika nous a demandé d’étudier le jeu de quatre gardiens : Ederson, Alisson, Ter Stegen et Onana. Le but était d’observer, analyser et comprendre ce qu’ils font plus ou moins bien, ainsi que les tactiques des différents coachs.
Cela demande du temps, mais c’est un exercice très enrichissant car le gardien d’aujourd’hui, et surtout celui de demain, a un vrai rôle tactique à jouer et doit prendre pleinement sa place dans le dispositif collectif. Comme nous le dit souvent Mika : le gardien est un caméléon lors des phases de transition. Il est joueur de champ avec des gants lors de la phase de possession et devient gardien de but à la perte du ballon. Il est donc essentiel de comprendre les schémas tactiques pour pouvoir y jouer notre part. C’est aussi la raison pour laquelle il est essentiel d’aborder l’entraînement avec l’attitude d’un joueur de champ, d’être un joueur de champ avec des gants pour recréer au plus proche la situation de match mise en place par le coach. C’est à nous de la faire vivre !
MO : Tu sembles avoir pleinement adhéré aux méthodes d’entraînement de Mika…
VD : Totalement ! Confinement ou pas, Mika nous propose constamment des activités ludiques visant à développer nos aptitudes cognitives et aiguiser notre connaissance du jeu. Cela fait 3 ans que je travaille avec lui et cela a toujours fait partie de sa méthodologie de travail. Elle peut surprendre les néophytes, mais on y adhère rapidement car résultats sont là et on prend plaisir à s’enrichir en travaillant.
Lorsque je quitte en voiture le centre d’entraînement, j’ai parfois l’impression de tout voir en regardant devant moi : la route, les feux, les panneaux, les piétons sur les trottoirs, mais aussi la façon dont ils sont habillés, les magasins… et ce n’est pas le fruit du hasard.
Dernièrement, on a fait un test aptitudes perceptivo-cognitives avec un spécialiste situé au Canada à raison de 2 à 3 fois par semaine et dont j’attends avec impatience les résultats. J’ai aussi commencé un training neuro sensoriel sur la gestion des troubles fonctionnels nerveux proposé par les centres CEREN que Mika nous avait fait découvrir au mois d’octobre et j’ai poursuivi les séances jusqu’à mon déménagement. C’est une démarche personnelle qui m’a beaucoup aidé après un début de saison difficile et que j’ai l’intention de reprendre. Honnêtement, c’est bluffant !
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Source photos : Paris FC
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