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11 December 2018


Connaissez-vous le premier gardien de but devenu une star en Europe de l’Est ? Yachine !  Mauvaise réponse, aujourd’hui Main Opposée vous présente Gyula Grosics, le plus grand gardien de l’Histoire du football hongrois. Rien n’empêche d’être un gardien iconique en Hongrie et ne pas porter de bas de survêtement, n’est-ce pas Kiraly ?

Prêtre ou gardien ?

Gyula Grosics est né le 4 février 1926 dans la ville minière hongroise de Dorog. Dès son plus jeune âge, le petit Gyula tâte le cuir. Il ignore encore le destin que lui réserve le football. Pourtant, ses parents ne sont pas emballés à l’idée de laisser leur fils jouer au ballon. Issu d’une famille de mineurs, son père, fervent catholique, souhaite voir son fiston devenir prêtre. Le paternel devra attendre avant de revoir Gyula puisqu’en 1943, ce dernier doit partir travailler deux ans en Autriche. En effet, à cette époque, la Hongrie suivait politiquement l’Allemagne nazie et envoyait ses jeunes magyars âgés de 12 à 21 ans pour travailler dans les usines.

En 1945, la seconde guerre mondiale bouleverse le destin de millions de personnes, et notamment celui de Grosics qui va profiter des circonstances pour se révéler.
En effet, le club de sa ville natale, le Dorogi Banyasz, est privé de son habituel gardien appelé au front. Dès lors, les responsables du club font appel à Gyula, de retour au pays et qui s’apprête à arrêter le football pour emprunter la voie spirituelle. Le tournant d’une vie et une décision qui changera à jamais le football hongrois.

Les débuts de Grosics en sélection : une Hongrie flamboyante

Grosics, alors âgé de 19 ans, débute sa carrière. Il reste deux saisons au Dorogi Banyasz où il impressionne. Ses performances ne passent pas inaperçues et, en 1947, il rejoint le Mateoz Munkàs SE. Cette même année, Gustav Sebes, sélectionneur de la Hongrie et vice-ministre du Sport, décide de le sélectionner. Gyula ne le sait pas encore mais avec son pays, il va marquer la légende du football.

Le 26 août 1947, Grosics est titularisé pour la première fois avec la Hongrie lors d’une victoire 3 buts à 0 face à l’Albanie, une première d’une longue série. Avec ses coéquipiers hongrois, Grosics enflamment les foules et on distingue le potentiel d’une équipe redoutable.

Tout comme tous les autres secteurs du pays, les clubs de football sont nationalisés en 1949 dès lors les politiques s’emparent du football hongrois. Afin d’obtenir de meilleurs résultats au niveau international, les dirigeants hongrois décident d’attirer les meilleurs joueurs au Budapest Honved (« défenseur de la patrie »), club de l’armée hongroise, le favori du régime.

Puskas et Grosics font partie de cette équipe formée pour favoriser l’éclosion de l’équipe nationale à l’échelle internationale. Le football hongrois devient un porte-étendard pour le régime communiste hongrois alors dirigé par Mátyás Rákosi, l’un des plus féroces dirigeants du bloc de l’Est.

Une équipe qui fait alors fantasmer les observateurs du football mondial qui entendent parler d’une Hongrie flamboyante. Ils ne seront pas déçus lors des Jeux Olympiques d’Helsinki en 1952 où les coéquipiers de Grosics éclaboussent le tournoi de leur talent. Les Magyars obtiennent le titre olympique en disposant de la Yougoslavie en finale sur un score de deux buts à zéro.

La Hongrie devient une référence du football international, avec en point d’orgue un chef d’œuvre lors du match opposant l’Angleterre à la Hongrie en 1953, plus connu sous le nom de « match du siècle ». À Wembley les Hongrois disposent de l’Angleterre, le 26 novembre 1953 sur le score de 6 à 3. Au sein du traditionnel 4-2-4 hongrois de Sebes, Grosics et ses partenaires font subir à l’Angleterre sa première défaite de l’Histoire sur son sol.

 

Grosics lors du Match du siècle contre l'Angleterre - source : Futball Anno
Grosics lors du Match du siècle contre l’Angleterre – source : Futball Anno

 

La coupe du Monde 1954

Invaincus pendant 3 ans, les Hongrois partent en 1954 en direction de Berne pour conquérir le Graal mondial. Les Hongrois dominent outrageusement leurs adversaires en phase de poule en écrasant la Corée du sud 9-0, ainsi que l’Allemagne de l’ouest 8 buts à 3. Le quart-de-finale est remporté 4 à 2 face au Brésil, un match tendu qui se termina en bagarre générale. En demi-finale, la génération dorée hongroise défont les Uruguayens sur le même score, après prolongations et dans un climat apaisé.

On ne voit pas ce qui peut arrêter la Hongrie de remporter son premier titre mondial face à la RFA, et tout se passe comme prévu puisqu’au bout de 8 minutes le score est de 2-0 pour les Magyars après des réalisations de Puskas et Czibor. Pourtant, les Allemands de l’Ouest répondent durant les dix minutes suivantes via Liebrich et Rahn. Le score resta inchangé jusqu’à la 85ème minute où Rahn logea une frappe dans le petit filet de Grosics, impuissant. La Hongrie fut menée seulement pendant 6 minutes dans le tournoi, six minutes de trop. L’impensable s’était produit : la Hongrie était vaincue.

Grosics et l'incroyable équipe hongroise avec Puskas - source : Sofoot.com
Grosics et l’incroyable équipe hongroise avec Puskas – source : Sofoot.com

Pourtant favori de la coupe du Monde 1954, ils s’inclinent en finale contre la RFA 3-2 , une énorme surprise tant les Hongrois ont dominé la compétition. Un événement que la presse qualifiera de « miracle de Berne ».

Les Hongrois accuseront l’arbitre de leur avoir coûté le titre en leur refusant un but signalé hors-jeu et soupçonneront leurs homologues allemands d’avoir utilisé des produits illicites. Toutefois, il n’y a jamais eu de preuves faisant état d’une triche allemande, même plusieurs joueurs allemands furent victimes « d’une maladie genre jaunisse » quelques jours après la finale. Cette défaite peut s’expliquer par la fatigue à la fois sur le plan physique et mental des coéquipiers de Grosics, tandis que le sélectionneur ouest-allemand Sepp Herberger avait fait tourner son effectif tout au long de la compétition.

Cet échec ne plaît pas au régime et notamment Rákosi, et signe le début des problèmes pour Grosics avec le pouvoir communiste, d’autant plus que « la panthère noire » n’a jamais caché son opposition au régime socialiste. Grosics aurait ainsi été volontaire dans la 25ème division SS Hunyadi Páncélgránátos Hadosztály, milice d’extrême droite qui combattait les soviétiques lors de la seconde guerre mondiale.

Grosics, ennemi public numéro 1

Comme mentionné précédemment, Matyas Rakosi était furieux de la défaite de son équipe, lui qui avait préparé une grande fête pour célébrer la victoire de ses joueurs. À Budapest, les Hongrois se réunirent pour célébrer leur héros malgré la défaite. L’attente étant trop longue, un mouvement de révolte éclate contre le régime. Dès lors, les vacances des joueurs hongrois sont annulées, les footballeurs emprisonnés, même si le régime indique publiquement protéger les coéquipiers de Grosics.

En détention, on reprocha à Grosics d’avoir encaissé 3 buts et on le soupçonna d’espionnage, à partir de ce moment le portier hongrois fut sans cesse surveillés par la police politique hongroise « pour des opinions politiques jugées ambiguës ». Grosics déclara : « Si la Hongrie avait remporté la Coupe du monde, il n’y aurait pas eu de contre-révolution (1956), mais une confiance dans la construction du socialisme dans le pays ».

 

En 1956, l’armée soviétique avec ses chars en tête de file entrent dans Budapest pour mater la révolte du peuple hongrois en quête de liberté. Lors de ces événements, les joueurs hongrois du Honved Budapest qui ont réussi à fuir leur pays entament une « tournée mondiale » pour jouer en Angleterre, au Brésil et au Mexique.

Le Mexique donna aux joueurs Magyars la possibilité de participer au championnat local tout en leur offrant l’asile politique. Gyula rejoint ses compères en novembre 1956, de nombreux joueurs profitent de cette tournée à l’ouest pour rejoindre des équipes européennes, comme Puskas qui rejoint le Real Madrid. Grosics hésite à tenter sa chance en Europe, mais le régime communiste lui ordonne de revenir au pays en menaçant son père. Sous la contrainte, Grosics revient en Hongrie en 1957. Dans la foulée, les dirigeants hongrois le transfère au Tatabanya Banyasz. C’est dans ce club que Grosics terminera sa carrière en 1962.

Bien qu’il soit vu d’un mauvais œil par le pouvoir à Budapest, Grosics poursuit sa carrière en équipe nationale. Paradoxal, non ? Pas vraiment. Étant donné que l’équipe nationale était une vitrine pour le régime, il fallait les meilleurs éléments et pas un gardien arrivait à la cheville de Gyula.

“La panthère noire”, une légende hongroise

Pourquoi a-t-il marqué la légende du football ? Tout d’abord, son style vestimentaire et de jeu fit fantasmer toute une génération. Le dernier rempart hongrois fut le premier à se vêtir de noir de la tête aux pieds dans les cages (désolé Yachine), d’où son surnom de « panthère noire ».

La philosophie de jeu hongroise portée sur l’offensive va permettre à Gyula de révolutionner le poste de gardien de but. À cette époque, le gardien se cantonnait à arrêter les ballons bien ancré sur sa ligne de but. Gyula n’était pas de ce genre, véritable 11ème joueur de champ, il n’hésitait pas à sortir de sa surface pour couper les balles en profondeur. Véritable premier relanceur de son équipe, le gardien hongrois privilégiait la relance à la main tandis que ces homologues relançaient constamment au pied. Ses parades enflammaient la foule, notamment dans le Nepstadion (le monumental stade national inauguré par le régime en 1953).

 

Supporter depuis toujours du Ferencvaros , club nationaliste alors ennemi du régime, Gyula n’a pu signer dans son club de rêve, un crève-cœur. Toutefois, son rêve va se réaliser en 2008. Les dirigeants du Ferencvaros lui propose de jouer un match sous les couleurs de son club favori. À 82 ans, Gyula n’hésite pas une seconde et dispute 40 secondes lors d’un match amical opposant Ferencvaros à Sheffield United. Vêtu de noir comme à la grande époque, Gyula réalisa son rêve de gosse.

Décédé en 2014, Grosics n’en reste pas moins une idole en Hongrie. Le dernier rempart de  L’Aranycsapat  (« le Onze d’or »), un révolutionnaire au niveau du jeu, un ennemi du régime communiste. Un gardien rebelle. Un gardien pas comme les autres.

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Photo de couverture: thesefootballtimes.com

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