Après la fin de son aventure à la tête de l’ESTAC, Jean-Louis Garcia, ancien portier du FC Nantes et, entre autres, de l’AS Cannes s’est confié à Main Opposée sur sa carrière et sa passion pour le poste de gardien. Coco Suaudeau, Mickaël Landreau, sa belle période troyenne, mais aussi sa frustration de ne pas avoir pu poursuivre sa mission avec le RC Lens, Jean-Louis Garcia nous dit tout, sans concession. Entretien.
Main Opposée : Jean-Louis, vous avez commencé comme entraîneur spécifique des gardiens de but à Nantes, quand avez-vous ressenti le besoin d’entrainer?
Jean-Louis Garcia : C’était une vocation chez moi d’entraîner, de guider. Alors que j’étais encore « Junior » à 18-19 ans dans mon club formateur à l’AS Cannes, tous les mercredis j’étais à l’école de football et je m’occupais ou des petits ou des gardiens de but. Entraîner était vraiment quelque chose d’inné chez moi. Tout au long de ma carrière j’ai passé mes diplômes, j’ai commencé ma formation d’initiateur à 25-26 ans, donc j’ai démarré assez tôt. Je me suis toujours beaucoup intéressé à ce que faisaient les entraîneurs. Lorsque j’ai dû arrêter un peu prématurément ma carrière à cause d’un genou récalcitrant, naturellement, Jean-Claude Suaudeau m’a mis dans son staff avec les gardiens de but pour parfaire un peu cette vocation d’entraîneur. Même si c’est un petit groupe de 2/3 personnes, il y a tout de même la notion de management, de donneur de confiance. J’ai commencé par les gardiens de but, mais je ne voulais pas me spécialiser définitivement.
MO : C’est vraiment Coco Suaudeau qui vous a mis le pied à l’étrier en sentant cette fibre de formateur et d’entraîneur en vous?
JLG : Coco a été indiscutablement un de mes maîtres d’apprentissage et surtout, il a décelé très vite ma vocation. Au bout de quelques mois au FC Nantes, il m’a dit: « Jean-Louis, tu es fait pour entraîner, il faut absolument que tu t’investisses à fond là-dedans parce que tu es fait pour ça ». Coco était quelqu’un qui, souvent dans ses causeries, aimait bien tendre des pièges. Oublier un joueur, oublier quelque chose, pour capter l’attention de ses joueurs et c’était souvent moi qui relevais les pièges alors au bout d’un moment il me disait: « Non toi tu ne dis rien, tu te tais ». C’est vrai que j’étais très intéressé et j’ai eu la chance d’être à ses côtés pour préparer les matchs de Coupe d’Europe. Il m’envoyait superviser les adversaires, ça a été une formation exceptionnelle. Quand je revenais avec mes notes, je connaissais tous les joueurs par coeur. Je me rappelle du Spartak Moscou qu’on avait affronté en 1/4 de finale de la Ligue des Champions en 1996. J’ai commencé à lui parler des adversaires, il m’a interrompu et m’a dit : « Ça ne m’intéresse pas que tu connaisses leurs noms et leurs dates de naissance. Maintenant tu te mets devant le tableau et tu me dis comment on les joue pour les battre ». Là il faut assurer, ne pas dire n’importe quoi. C’était aussi une manière de me dire qu’il avait confiance en mon jugement.
MO : Ça fait partie du plus gros du travail que de connaitre par coeur ses adversaires?
JLG : Non, le plus gros du travail c’est de s’occuper de son équipe, de ses joueurs. C’est faire en sorte qu’ils acquièrent une philosophie de jeu avec des principes, de créer des complicités et des automatismes entre les joueurs. Faire en sorte qu’ils se comprennent par rapport à un football que l’on veut jouer, installer une idée commune dans le groupe. Ça c’est le travail d’un entraîneur. Après, bien entendu, quand on prépare ponctuellement le rendez-vous du week-end, il y a une problématique qui est posée par un adversaire. Étudier l’adversaire, ce n’est surtout pas renier sa manière de jouer, surtout pas s’adapter à l’adversaire. C’est percevoir comment ils sont mis en danger, percevoir comment on va annihiler leurs qualités et leurs points forts à travers notre organisation et notre manière de faire. Au haut niveau, il faut être très pointu par rapport à ça pour laisser un minimum de part d’incertitude quand on démarre le match.
MO : Quand on voit votre progression en tant que coach, on voit qu’elle est linéaire. Est-ce que c’était important de ne pas brûler les étapes?
JLG : Je n’ai pas eu le choix en fait ! (rires) Il y en a qui sont parachutés de joueur à entraîneur principal mais moi je n’ai pas eu cette chance là, je n’avais peut-être pas le nom qui le permettait… Donc j’ai été obligé de mettre les mains dans le cambouis. Par contre, je ne veux pas sauter l’étape à la formation des Girondins de Bordeaux. C’est quelque chose que m’avait toujours dit Coco Suaudeau: « Pour être un très bon entraîneur, il faut avoir fait de la formation de joueurs ». J’ai passé quatre années très importantes à Bordeaux où j’ai eu la chance quand même de faire éclore la génération Mavuba, Chalmé, Chamakh et Planus par exemple. C’était un super laboratoire avec ces gamins-là et c’était très intéressant. Après, lorsqu’on est entraîneur des pros, on sait plus précisément ce que l’on attend de son entraîneur de la réserve. C’était vraiment une très belle expérience, et c’est très intéressant dans l’apprentissage de son métier d’entraîneur que de comprendre le fonctionnement d’un jeune joueur qui aspire à être pro. Ça a été une belle étape. Ensuite, effectivement, l’occasion s’est présentée avec le Sporting Toulon Var. Ce n’était pas anodin comme club puisque je suis varois d’origine. C’est quand même un club qui avait une histoire en D1, en D2 et qui était ambitieux, qui voulait repartir et retrouver au moins le National.
J’avais connu ma première accession avec les Girondins de Bordeaux puisque j’avais fait remonter la réserve de la CFA 2 à CFA, et sur mes trois années à Toulon, on est remonté de CFA en National.
Après une très bonne année en National où on avait tout de même fini 7ème, j’ai eu l’opportunité de démarrer un projet tout nouveau avec le SCO d’Angers. J’y suis resté cinq ans et nous avons fait un super boulot avec Olivier Pickeu et Willy Bernard qui venait de racheter le club. On est parti de rien du tout et dès la première année on est monté de National en Ligue 2. À ma dernière année au club, on a terminé 5ème du championnat de Ligue 2 en luttant pour la montée et demi-finaliste de la Coupe de France.
MO : Puis vous arrivez au RC Lens, un club mythique en France…
JLG : À ce moment-là j’ai été nommé meilleur entraîneur de Ligue 2 en 2008 par France Football et j’avais eu des opportunités pour entraîner l’AS Nancy, les Girondins de Bordeaux et le RC Lens.
Finalement on a choisi Lens parce que le projet était très intéressant, mais aussi parce que Gervais Martel me permettait de venir avec tout mon staff, composé de Manu Nogueira, Jean-Louis Lima et Pascal Faure. Puis l’ambiance, les supporters et Bollaert, c’est fabuleux… C’était une expérience à vivre, mais ce n’est malheureusement pas la meilleure décision qu’on ait prise.
On a eu une première saison qui était compliquée dûe au traumatisme de la relégation qu’avait subi le club. Nous avons fait 10ème la première saison et alors que nous voulions, avec Jocelyn Blanchard, le directeur sportif, et Gervais Martel, conserver la base de cette saison tout en gommant ce qui n’avait pas fonctionné, l’actionnaire majoritaire les a mis dehors tous les deux alors que nous avions une très bonne base de travail. Ils ont placé Antoine Sibierski avec qui nous n’avions aucun feeling. Bien entendu, au bout de 10 journées et seulement deux défaites, il m’a mis dehors pour installer Éric Sikora à ma place.
Mon passage à Lens me laisse un goût amer parce que si on nous avait laissé du temps, on aurait fait du très bon travail. Au passage, le staff qui nous a remplacé a terminé 19ème de la phase retour, en concédant un cinglant 7-0 face à Guingamp. Quelque part, ils ont fait honte aux couleurs lensoises.
MO : Viennent ensuite Châteauroux et Grenoble. Était-ce un choix de repartir de CFA?
JLG : C’est surtout que ça me démangeait, j’avais envie de travailler ! Je n’avais pas trop d’opportunités et le GF38 me contacte. Il y avait un projet extraordinaire et un potentiel incroyable ! L’équipe restait sur plusieurs accessions et le Stade des Alpes était un outil formidable. Je savais que ce serait très compliqué d’être promu puisqu’il n’y a qu’une seule montée en CFA et que la poule était relevée, mais on travaillait comme un club pro avec un très bon staff. Sur cette année à Grenoble, je me suis régalé. Malheureusement on termine second. Mais à la fin de la saison, un club de Ligue 1 m’appelle.
Troyes était sur le point de descendre en Ligue 2 mais jouait encore dans l’élite. J’en ai discuté avec Max Marty avec qui j’avais une très bonne relation et il m’a dit: « Jean-Louis, on est en CFA et un club de Ligue 1 t’appelle… Fonce! ».
Ça a été mal perçu par les supporters de Grenoble qui ont pensé que j’étais peut-être un mercenaire, mais à l’intérieur du club ma décision a été très bien comprise. Quand un club de Ligue 1 vous appelle, c’est très difficile de refuser. Le GF38 restera dans mon coeur parce que j’ai passé une très bonne année là-bas et parce que c’est le club qui m’a permis de me remettre en valeur. C’est grâce à cette saison que le président de Troyes a pu penser à moi.
MO : Comment se passe votre arrivée à Troyes?
JLG : Dès ma première année à l’ESTAC, on monte de Ligue 2 en Ligue 1 alors que l’objectif fixé par le président au début de saison était de terminer « au moins dixième » pour préparer la montée l’année suivante. Ce qui nous a permis de faire une si belle saison, c’est que j’ai eu tout de suite l’adhésion de joueurs comme Benjamin Nivet, Stéphane Darbion et tous les cadres de l’équipe.
Ça a été un véritable exploit surtout qu’après notre match à Sochaux, nous sommes en Ligue 1 directement en étant second. Sauf qu’au bout de six minutes de temps additionnel, Amiens égalise à Reims et nous passe devant ! Donc on fait l’ascenseur émotionnel et on passe d’accédant direct à la Ligue 1 à barragiste contre Lorient qui est une équipe énorme à ce moment-là, qui nous est nettement supérieure. Battre Lorient en barrage était un exploit monumental. Notre budget était très serré, j’avais fait venir Giraudon avec moi de Grenoble en CFA et on avait recruté soit des joueurs libres, soit des joueurs en prêt.
Bis repetita à l’intersaison suivante, le président m’avait dit : « Coach, pour cette année on n’a pas de moyen, il ne faut recruter que des joueurs en fin de contrat, réussir des coups parce que financièrement, on ne peut pas faire n’importe quoi ».
En Ligue 1 on fait une très bonne première partie de saison avec 21 points. Par contre, sur la phase retour, on a moins eu l’exigence et la régularité nécessaires en première division. Certains jeunes joueurs ont un peu changé de statut, ont été moins dans l’écoute et dans l’exigence. Notre gardien a aussi été moins performant et on a dû en changer. Il nous a aussi peut-être manqué un attaquant pour épauler Adama Niane. On avait pris Suk mais il a eu, entre autres, quelques pépins physiques. Tout ça mis bout à bout a fait qu’on a manqué le maintien à très peu de choses. Je pense qu’avec une victoire de plus on se serait maintenu.
Mais je ne retiens que du positif de cette saison parce que, lorsque tu annonces que ton objectif est le maintien et que échoues à seulement une victoire près, c’est que tu étais vraiment tout prêt de réussir ton objectif. Pratiquement toute la saison, on a montré l’image d’une équipe costaude, bien organisée et qui pratique un beau football. Au final, je suis fier des deux années qu’on a faites avec mon staff, je pense notamment à Manu Nogueira avec qui on a fait du très bon boulot à Troyes.
MO : Justement, Samassa a joué 21 matchs de championnat l’an dernier (pour 31 buts encaissés) puis s’est retrouvé n°2. Zelazny a pris sa suite pour 17 matchs. Qu’est-ce qui a motivé l’inversion de la hiérarchie ? Ce n’est pas si courant au haut niveau.
JLG : Ce n’est pas si courant, mais ça le devient tout de même. Le problème, c’est qu’on ne pouvait pas rester les deux pieds dans le même sabot. Et comme vous le dîtes, je ne l’ai pas changé au bout de 5-6 matchs, je l’ai changé au bout de 21 matchs. Quand tu es un promu et que tu veux te maintenir en Ligue 1, il faut que ton gardien soit décisif. Non seulement il doit être décisif, mais il faut surtout qu’il ne te fasse jamais perdre de match. À un moment donné, j’ai estimé que Mamadou Samassa n’était plus assez performant. Il était de mon devoir de réagir, surtout que j’avais un gardien très compétitif sur le banc. Quand tu es numéro 2 et que tu penses être performant, tu acceptes ton statut de remplaçant tant que le numéro 1 l’est aussi. Mais si le titulaire fait des matchs moyens, tu as quand même envie que ton entraîneur te regarde et qu’il pense à toi.
C’est très douloureux pour moi de remplacer mon numéro 1, c’est un acte qui demande du courage. Il faut affronter son joueur et lui dire les yeux dans les yeux: « Voilà, je veux tenter autre chose parce que tu n’es pas assez décisif, pas assez performant ».
Je sais que c’est mal vécu parce qu’à ce moment-là, tu as beau donner toutes les explications du monde, les yeux dans les yeux à ton gardien, il ne les accepte pas, il ne les entend pas ou il n’est pas d’accord avec. Il n’a pas toujours l’objectivité et le recul nécessaire. C’est quelque chose que j’avais déjà fait à Lens avec Kasraoui et Fabre. C’est très difficile, mais on ne peut pas avoir une équipe compétitive si l’on n’a pas un très bon gardien de but.
MO : En tant qu’ancien gardien, quel est votre rapport au poste et aux portiers que vous avez sous vos ordres?
JLG : J’ai un rapport particulier avec mes gardiens. Je ne les regarde pas comme un entraîneur qui a été joueur de champ. Je ressens beaucoup plus leurs états d’âmes, leurs sentiments après un bon ou un mauvais match. Je comprends ce qu’ils peuvent ressentir à travers un but encaissé ou un arrêt réalisé ; ces sensations-là, je les ai connues. Après je suis peut-être aussi un peu plus pointilleux qu’un coach normal avec eux, peut-être un peu plus interventionniste avec mon entraineur des gardiens, mais c’est normal, je suis passionné par la fonction de gardien de but !
J’ai toujours eu un oeil particulier sur mes groupes de gardiens de but. Dans mon groupe de joueurs, le groupe de portiers est un groupe à part qui doit être entrainant pour le reste du groupe. Il doit être un groupe exemplaire en terme de cohésion. On sait qu’il y a une hiérarchie mais il faut qu’ils travaillent, qu’ils soient capables de se tirer la bourre à l’entraînement, de faire jouer pleinement la concurrence tout en étant dans des valeurs de respect, de convivialité et de confraternité. Ça me paraît important et ils doivent être des exemples pour le reste de mon groupe. J’ai toujours fait attention à ça.
MO : On entend souvent dire qu’être gardien de but, c’est pratiquer un sport individuel au sein d’un sport collectif. Est-ce que vous l’avez ressenti comme ça?
JLG : Je ne crois pas, mais il est évident que nous avons une manière de fonctionner et de penser qui est différente de celle d’un joueur de champ. Sur le terrain, on est seul dans sa cage par moment, c’est pour ça qu’on entend souvent cette phrase, mais il ne faut jamais oublier qu’on est lié à une équipe. Tu as beau arrêter des buts, si ton avant-centre ne claque pas, tu ne gagnes pas de match. Et inversement. Si ton avant-centre marque mais que tu ne fais pas le job pour maintenir le but d’avance, lui non plus ne gagnera pas le match. Le gardien est un pion essentiel d’un collectif, c’est évident mais c’est vrai que dans la manière de se préparer, on est un peu marginal, notamment parce qu’on a son entraîneur spécifique.
MO : En quoi le poste a évolué depuis que vous n’êtes plus sous le bois?
JLG : La grosse évolution, c’est évidemment celle de la passe en retrait que le gardien n’a plus le droit de prendre à la main. À mon époque déjà, il y avait des joueurs qui avaient de la qualité de jeu au pied. Au FC Nantes, j’adorais m’entrainer sur les conservations de balles, le jeu des portes ou des planches. Coco Suaudeau ne voulait pas que l’on fasse uniquement des entrainements spécifiques gardien, il voulait que de temps en temps, on soit dans l’entrainement avec les autres. Peut-être que là-dessus il avait aussi un temps d’avance et il savait que le gardien devait être joueur. Quand tu es gardien et que tu donnes un ballon à un défenseur, il faut savoir comment le défenseur espère le recevoir. Pour le sentir, il faut, à un moment donné, être à sa place, dans sa situation. Et le meilleur moyen de le savoir, c’est d’être dans le champ à l’entrainement par moment.
À l’époque, certains gardiens n’étaient vraiment pas doués avec les pieds, ils se contentaient juste de dégager le ballon. Il a fallu introduire dans les centres de formation un chapitre supplémentaire qui était lié à la participation au jeu de passes, notamment pour ressortir le ballon et repousser le danger. C’est devenu aujourd’hui une qualité essentielle pour le gardien que de maitriser le jeu au pied.
Aussi quand les équipes sont passées progressivement du marquage individuel avec un libero à la zone, il y a eu une autre grande évolution du poste. C’est la notion de lecture du jeu et de couverture. Derrière une défense à plat et en ligne, le gardien devait jouer plus haut et être capable d’anticiper, comme un libero, les ballons qui passaient dans le dos de sa défense. Cette réactivité et cette lecture du jeu sont devenues des qualités extrêmement importantes. Si aujourd’hui certains entraineurs veulent exercer un pressing haut avec des défenses placées très hautes, ils ne peuvent pas se permettre d’avoir leur gardien qui reste sur sa ligne. Il faut qu’il soit capable de jouer quasiment à 20 mètres de son but pour se retrouver en situation de dernier défenseur.
MO : Souvent on entend les entraineurs dire que l’attaquant est le premier défenseur. Avec l’évolution du poste, est-ce que le gardien peut-il être parfois le premier attaquant de son équipe?
JLG : Complètement. On le constate aujourd’hui avec Pep Guardiola qui fait le choix de prendre Ederson. Il est exceptionnel avec son pied gauche. On voit que sous pression il cherche à relancer court dans ses 16 mètres, il donne le ballon et sait se rendre disponible. Si tu joues City et que tu cherches à les presser haut, ils ne dégageront pas le ballon pour autant… En se servant d’Ederson, ils vont trouver un joueur libre et vont chercher à faire les décalages à partir de leur surface de réparation pour faire ressortir le ballon. Bien entendu, pour en arriver à ce point-là, il faut une maîtrise technique exceptionnelle de la part du gardien et des défenseurs, une lecture du jeu, la capacité de voir avant de recevoir. Ça tu ne peux le faire qu’avec des équipes de très haut niveau mais l’exemple à suivre c’est City et Guardiola. Aujourd’hui, les équipes cherchent à te bloquer haut, à venir te presser et si tu n’as pas un gardien qui la demande, qui te sollicite quand tu es sous pression, soit tu dégages en touche, tu la rends à l’adversaire ou tu le la fais chiper…
Neuer a montré la voie et s’est affirmé comme le gardien de la nouvelle génération, notamment, « comme par hasard », sous les ordres de Pep Guardiola au Bayern.
MO : On a parlé tout à l’heure de votre période à la formation bordelaise, quel est le joueur qui vous a le plus marqué?
JLG : Rio Mavuba. Je l’avais vu jouer avec les 19 ans et je l’ai intégré dans mon équipe réserve. C’était évident qu’il allait exploser et qu’il allait faire une grande carrière. On voyait tout de suite qu’il sortait de l’ordinaire. C’était un leader, un milieu défensif moderne avec beaucoup d’activité. Je l’ai gardé une année et très vite, Elie Baup l’a fait jouer en équipe première et je ne l’ai plus revu. C’était un garçon qui était à l’écoute, qui était exceptionnel à coacher.
La plus grosse progression c’était Marouane Chamakh, il est arrivé d’un petit club, il n’avait pas trop d’allure mais par contre il avait un mental incroyable. Certains aux Girondins ne croyaient pas vraiment en lui et finalement on a insisté et on a été récompensé parce que c’est devenu un sacré guerrier, un sacré buteur.
Ça fait partie de ce que j’aime dans mon métier. Au-delà de faire progresser mon équipe, c’est de faire évoluer et grandir mes joueurs, les rendre meilleurs. Leur faire prendre conscience qu’il n’y a pas d’âge pour progresser, qu’on doit perpétuellement chercher à s’améliorer. Ça demande beaucoup d’exigence, c’est une contrainte pour les joueurs mais quelques années plus tard, quand ils te revoient, souvent ils te remercient.
MO : J’imagine que ça doit vous faire plaisir, parce que la reconnaissance dans le monde du football, ce n’est pas forcément tous les jours qu’on en reçoit…
JLG : Non c’est pas tous les jours, mais c’est aussi très peu médiatique. La reconnaissance c’est quand un joueur te passe un coup de fil, quand un joueur te remercie mais ça, personne ne le voit. C’est très important parce qu’effectivement dans ce milieu là, c’est très précaire. Un jour t’es un tout bon et six mois plus tard tu es aux oubliettes. Ce qui est capital c’est d’avoir aussi la reconnaissance de tes paires. Après la relégation avec Troyes, j’ai eu un message d’Aimé Jaquet qui me disait « Jean-Louis tu n’as pas à être déçu, tu as fait du super boulot », ou Sylvain Ripoll qui m’a dit « Bravo pour ce que tu as fait »… Ce sont ce genre de messages qui sont réconfortants et qui te permettent de garder ta motivation.
MO : Est-ce qu’il y a un gardien avec lequel vous avez une histoire particulière?
JLG : Avec Mika Landreau oui. J’étais l’entraineur des gardiens du FC Nantes lorsqu’il fait son premier match à Bastia. C’était la saison 96/97 et Eric Loussouarn, qui était un très bon gardien, démarre la saison. Coco Suaudeau hésitait à le changer parce qu’il avait fait un match moyen à Rennes. Landreau était très jeune et c’est ce qui faisait hésiter Coco. Il m’avait demandé ce que j’en pensais et je lui avais dit: « Coach, vous pouvez y aller les yeux fermés, il est prêt. Il a un mental d’acier, il a de la colle dans les mains. On peut y aller. C’est tôt mais il est prêt ».
On décide de mettre Landreau titulaire en première division, à 17 ans et demi, à Bastia. Dès l’échauffement, on est devant le kop à Furiani et il y a deux grands hauts parleurs qui diffusent des chants corses à fond. Je n’arrivais même pas à parler à Mika pendant l’échauffement et lui qui était tout gamin, en rigolait. Ça l’a motivé. Derrière il fait un match incroyable, on fait 0-0 et il sort un pénalty de Moravčík. Sa carrière était lancée.
De mémoire, quand en septembre, on décide de le mettre numéro 1 avec Coco Suaudeau, l’équipe est 17 ou 18ème. On va vraiment mal et l’équipe fait une série d’invincibilité incroyable. Au final on termine second.
Toujours à Nantes, j’avais eu un rapport particulier aussi avec Dominique Casagrande qui venait du monde amateur, avec qui j’ai eu une très bonne relation, qui a beaucoup progressé à Nantes et avec qui je suis toujours ami.
MO : Comment se profile votre avenir?
JLG : Lorsque l’aventure avec Troyes s’est terminée, à la fin du mois de mai, il n’y avait que très peu de bancs disponibles en Ligue 1 ou en Ligue 2. J’ai eu quelques contacts avec des pays du Golfe ou pour entrainer en Algérie mais je ne me sentais pas prêt alors je n’ai pas donné suite. En revanche des chaines m’ont approché pour devenir consultant donc en attendant de retrouver un club, ça peut être une belle opportunité pour rester dans le football de haut niveau et dans l’actualité.
MO : De quel gardien étiez-vous fan étant jeune?
JLG : Quand j’étais jeune, c’était il y a longtemps (rires)! C’était les années 80 donc forcément Dino Zoff, Rinat Dasaev ou un peu avant, Sepp Maier qui m’impressionnait beaucoup. Après en France, les très bons gardiens c’étaient Dominique Baratelli, Jean-Paul Bertrand-Demanes et Jean-Luc Ettori. D’ailleurs, j’ai eu l’immense privilège d’être la doublure d’Ettori pendant une saison à l’AS Monaco en 1985.
MO : Quel gardien aimeriez-vous coacher aujourd’hui?
JLG : C’est compliqué à dire mais il y a un gardien que j’aurais aimé faire revenir, qui était à Troyes avant moi, c’est Paul Bernardoni. J’aime bien ce garçon, je le trouve intelligent et disponible, il est avide de progression, on m’en a dit le plus grand bien quand j’étais à l’ESTAC. Il démarre très bien sa saison à Nîmes et de ce qu’on m’en a dit, ça doit être très agréable de travailler avec lui. Après, je trouve qu’Areola a un potentiel vraiment exceptionnel donc j’aurais bien aimé travaillé avec un garçon qui a de telles qualités.
MO : Votre plus beau souvenir sur un terrain?
JLG : En tant qu’entraîneur, c’est forcément la montée avec Troyes. La joie d’une montée en Ligue 1 c’est quelque chose d’exceptionnel, d’autant plus avec le scénario du barrage.
En tant que joueur, c’est le titre de champion de France avec le FC Nantes en 95. J’étais numéro 2 derrière David Marraud dans une fabuleuse génération avec Loko, Pedros, Karembeu, Ouédec et tous les autres… Je me rappelle de la fête à La Beaujoire, c’était incroyable.
MO : Votre plus bel arrêt?
JLG : C’est dur à dire… C’était à un moment particulier. J’avais dû jouer un match de coupe d’Europe alors que j’avais arrêté ma carrière à la fin de la saison précédente. J’étais devenu entraineur des gardiens et j’avais dû faire cette pige contre Leverkusen… Le match aller qui ne s’était pas bien passé et où on avait perdu 5-1. Au match retour, Dominique Casagrande qui débute le match se fait à nouveau mal et je suis obligé de rentrer à la mi-temps. Quand j’entre sur la pelouse de La Beaujoire, le public scande mon nom. C’était une manière de me dire qu’il ne m’en voulait pas d’en avoir pris 5 au match aller. Tout le monde savait dans quelles conditions j’avais dû jouer. Dans cette deuxième mi-temps où l’on fait 0-0, j’arrête une frappe qui est légèrement déviée où j’étais pris à contre pied. Je fais un bel arrêt et en plus je garde le ballon. J’ai certainement fait d’autres plus beaux arrêts dans ma carrière, mais celui-ci était symbolique. À l’époque, Charles Bietry, qui commentait pour Canal +, a dit quelque chose comme: « À travers cet arrêt, qui est loin d’être facile, on voit la qualité de Jean-Louis Garcia ».
MO : Un dernier mot pour les lecteurs de MO?
JLG : Je trouve fabuleux qu’un site soit dédié au poste de gardien de but. J’espère que ça peut susciter des vocations. C’est un poste qu’il faut valoriser. Je l’ai dit, il ne peut pas y avoir de bonne équipe sans bon gardien de but. Il peut être le garant d’un bon résultat, il peut même parfois masquer certaines carences de l’équipe par ses performances. Puis le nom « Main Opposée » est très original parce qu’on parle d’un geste technique du gardien de but et j’encourage vraiment les gens rester fidèles à votre site qui fait honneur aux gardiens de but.
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photo de couverture : SoFoot
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