On connaît tous Rolland Courbis. Défenseur central puis entraîneur, le Marcel Pagnol du football français nous a accueilli dans son hôtel parisien pour partager son expérience et revenir, en exclusivité, sur les spécificités du poste de gardien. Sans langue de bois, il évoque tour à tour le rôle du portier, le profil idéal du dernier rempart, la gestion de la concurrence au Paris Saint Germain, l’équipe de France, les tirs au but et ses rapports avec Mickaël Landreau. Entretien.
MO : Bonjour Rolland. Tu as été joueur, entraîneur, mais jamais gardien. Quel regard portes-tu sur ce poste si particulier ?
RC : Je pense que gardien, ce n’est pas seulement un poste, c’est un métier. Et dans ce métier, il y a une qualité que tu n’arriveras jamais à acquérir, même en t’entraînant 24 heures sur 24 tous les jours, c’est le flair. On pense que le flair n’est valable que pour l’attaquant, le traditionnel renard des surfaces, mais c’est quand même bizarre qu’on puisse se servir de ce terme pour un attaquant et pas pour le gardien, alors qu’un gardien fait toute sa carrière, son sport, son jeu, son métier dans cette surface, et il est lui aussi obligé de sentir les coups : “je sors, je sors pas ? Je reste sur mes appuis jusqu’au dernier moment ? J’anticipe, je n’anticipe pas ? Je fais semblant de sortir ?” et ça, ce n’est jamais souligné. Ce sont les attaquants qui sont des renards des surfaces, et pas les gardiens.
MO : Certains attaquants s’essaient au poste de gardien lors de séances d’entraînement, avec plus ou moins de succès. As-tu une anecdote à nous raconter ?
RC : J’ai comme souvenir Delio Onnis (meilleur buteur de l’histoire du championnat de France de 1ère division, ndlr) qui s’amuse à la fin de l’entraînement à se mettre au poste de gardien et que tu te lèves un cul pour lui marquer un but, tu ne peux même pas imaginer. Il sentait tout avant ! Les tirs des 16 mètres, à la dernière foulée, quand tu ne peux plus changer de décision, il commençait déjà à faire deux petits pas de côté et rigolait en mettant le ballon en corner avec deux phalanges.
MO : La qualité des appuis est primordiale pour le gardien…
RC : C’est Joseph-Antoine Bell qui insistait là-dessus, sur l’importance de ces petits pas. Ils te permettent de gagner quelques centimètres, ou peut-être un mètre si le tir est assez loin, et de faire un arrêt avec la main alors qu’au final ce sont les pieds qui t’ont permis de faire cet arrêt. Il y a aussi les gardiens amoureux de plongeons, mais c’est différent. Le principal en activité en Ligue 1 c’est celui de Lyon, Anthony Lopes. Lopes, tu lui mets un tir dessus, il plonge. Ce n’est plus une stratégie ou une tactique le plongeon pour lui, c’est un plaisir !
MO : L’explosivité est une caractéristique qu’on retrouve chez plusieurs gardiens façonnés par Joël Bats. Quel regard portes-tu sur le jeu de l’international portugais ?
RC : Lopes, je le mets dans la catégorie des bons, avec un profil plongeur, mais pas dans la catégorie des très bons pour le moment. Il y a encore des progrès à faire. Pour moi, le sommet des gardiens sur les 20 dernières années, il a été atteint par Barthez ; après on aime, on n’aime pas. Il n’a pas été bon de partout, il rate son challenge en Angleterre, on ne sait pas pourquoi, mais sans rentrer dans le domaine technique, le profil de Barthez, c’est ‘gardien très difficile à battre’. Après, tu auras des débats, mais le jeu au pied, les arrêts réflexes…
MO : Fabien Barthez, par ses réflexes et son jeu au pied, mais aussi Bernard Lama, par son agilité et ses sorties aériennes, ont fait évolué le poste de gardien. Quelle est selon toi la plus grande évolution du poste sur ces dernières années ?
RC : Dans le football, il y a les évolutions et les révolutions, celles qui changent le jeu. La plus grande révolution sur les 30 dernières années, c’est la passe en retrait. Elle n’a pas seulement transformé le poste de gardien, elle a aussi modifié tout le football : le rythme, le temps de récupération… c’est beaucoup plus pénible un match avec ce règlement que quand le gardien pouvait recevoir le ballon des défenseurs, faire bomber, la faire rouler, la reprendre, refaire bomber… le match était beaucoup moins pénible à jouer pour les joueurs de champ.
MO : Le gardien est aujourd’hui un véritable libéro et touche parfois autant de ballons qu’un joueur de champ…
RC : Par moment je trouve qu’on en abuse. Pour moi, repartir dès que possible depuis derrière avec un gardien de but dont tu peux te servir comme libéro de l’époque, oui pourquoi pas, mais quand ton gardien est dans ses 6 mètres, que tu as 5 adversaires qui sont montés dans ton camp et qui veulent te presser dans tes 20 mètres, ne joue pas avec le feu, tu vas te brûler. Balance un long ballon, tu élimines ces 5 adversaires si tu arrives à gagner le duel. Il y a des redémarrages depuis derrière qui me feraient transpirer si j’étais le coach de cette équipe-là. Je trouve que par moment, il y a abus et exagération.
Je ne dis pas que c’est une mauvaise idée de repartir depuis derrière, mais quand c’est possible, pas quand tu prends des risques à chaque fois. Parce qu’en plus de ça, je veux bien pour la beauté des choses, mais vous m’expliquerez après dans les stats, puisque nous sommes en train de traverser une époque où les stats sont à la mode, combien de buts on marque en redémarrant depuis derrière “à toi, à moi” dans les 16 mètres. Je voudrais le savoir, il doit y en avoir très très peu. Le nombre de fois que tu te fais piquer le ballon et qu’il y a but alors que tu fais le con pour redémarrer depuis derrière, là je pense qu’il doit y en avoir.
MO : Quelles sont, selon toi, les qualités requises au poste de gardien ? Que regardes-tu chez un gardien ?
RC : Déjà, il faut en avoir la morphologie et il y en a pas qu’une, de morphologie. Ce n’est pas une obligation pour moi de faire 1m90. Ça peut aider quand même, mais un gardien d’1m80 avec des qualités de vivacité, des qualités toniques, peut être un bon gardien, même si l’évolution fait que ça se voit de moins en moins. Je regarde souvent aussi la longueur des bras. Je ne dis pas qu’il faut ressembler à un orang-outan, mais les gardiens avec des petits bras comme j’ai pu en voir en ce qui concerne la longueur, je préfère voir un Lloris qui, lorsqu’il laisse tomber les bras, je crois que les mains elles doivent arriver quand même à la hauteur des genoux, alors qu’il y en a certains pour qui elles arrivent à hauteur de la mi-cuisse.
MO : On pense aussi à Yachine ou Sepp Maier, évidemment…
RC : Yachine, si tu le regardais morphologiquement, tu disais “celui-là, il est né pour être gardien”. Mais regarde bien Lloris, il a de longs bras aussi. C’est un ami à moi qui est passionné de Nice qui me l’a fait remarquer. Je ne sais pas si je l’aurais remarqué tout seul, mais j’ai bien observé : putain… Celui par contre qui avait de tous petits bras, enfin il les a toujours mais c’est moins emmerdant pour le poste d’entraîneur, c’est Landreau. Morphologiquement, il fait une carrière exceptionnelle par rapport à des qualités de morphologie moyenne.
MO : Un gardien peut aussi bien gagner 2-0 en faisant un mauvais match que perdre 0-2 en ayant réalisé une bonne performance. Comment analyses-tu le match d’un gardien ?
RC : Il y a un autre cas de figure que tu vas rencontrer, c’est le nombre de fois où tu pourras dire à la fin du match qu’il est difficile d’analyser ce match-là et d’incriminer une des deux équipes, d’analyser les points forts et les points faibles, parce que si tu changes les gardiens de ce match-là, le score change. Tu verras, si tu ne l’as pas déjà fait, le nombre de fois que tu te poseras cette question, c’est impressionnant. Je me suis souvent amusé à regarder des matchs en me disant “putain… on va analyser pendant des heures et des heures, mais tu n’as qu’à changer de gardien et le score est totalement différent.”
A l’inverse, l’autre jour j’ai vu un match… Je ne dis pas que le gardien fausse tout, mais preuve qu’il fausse beaucoup de commentaires : le 0-0 en Champions League entre Manchester United et Séville. De Gea qui fait tout et on dit “Putain, la solidité défensive de Manchester United avec Mourinho… Il a mis les deux bus…”. Je n’ai jamais vu un gardien ayant autant de boulot ! Dites-moi que le gardien n’a pas eu un arrêt à faire, donc ça veut dire que tout a été verrouillé, mais il a fait le match de sa vie De Gea ! Il a fait 7 arrêts miraculeux !
MO : Dont une superbe main opposée ! Que t’inspires cet arrêt si cher aux gardiens ?
RC : C’est un arrêt un peu nouveau qu’on voit de plus en plus. Au-delà du côté esthétique de cette intervention, c’est surtout son côté efficace, dans le sens où tu gagnes au moins 20cm avec ce travail-là. La meilleure comparaison que j’ai pu faire pour arriver à faire comprendre l’efficacité et l’intérêt de cet arrêt-là, je dis pas que c’est la meilleure, c’est de comparer le gardien à un nageur de crawl, dans le sens où tu vas toujours chercher loin et tu te tournes du côté où est ta main. Le gardien, quand il part sur sa gauche avec main opposée, son corps se tourne en partie vers son but par obligation et c’est grâce à ça, à ce geste de nageur de crawl, qu’il gagne les 20cm que ne lui aurait pas fait gagner l’autre main, la main normale.
MO : Que penses-tu de la gestion et de la situation des gardiens au Paris Saint Germain depuis le retour au club d’Alphonse Aréola ?
RC : La situation d’Aréola et Trapp, pour moi, elle est mal gérée par Emery. Tu te retrouves avec Aréola qui débarque, Trapp le regarde du mauvais œil, tout à fait logiquement. Il n’y a rien qui est dit en début de saison, il n’y a rien qui filtre médiatiquement, on se renseigne, il n’y a rien qui est dit comme précision aux joueurs. Trapp démarre la saison. Et puis, même pas le match avant le match contre Arsenal, le mardi matin, Aréola devient titulaire du Paris Saint Germain en Champions League sans avoir fait un match de championnat et là, dans la construction et dans la gestion des gardiens, au lieu de faire un numéro un en confiance et un numéro deux ambitieux, tu construis deux numéros deux qui tremblent.
Le gardien a besoin de confiance pour être serein sur le terrain et pouvoir faire une connerie de temps en temps qui arrive à tous les gardiens. Si tu es dans une situation où tu sais que si tu fais une connerie c’est l’autre qui va te prendre ta place, je ne dis pas que tu vas la faire à coup sûr, mais tu augmentes les chances de la faire. La crampe d’Aréola face à Marseille, c’est une crampe d’un mec qui te démontre qu’il est stressé et qu’il n’a pas confiance en lui. Mais là où je l’ai trouvé mauvais, c’est quand il sort dans le mauvais tempo et se fait dribbler par Njie.
MO : Tu n’es pas tendre avec le gardien parisien…
RC : Aréola, je le mets dans la catégorie des bons, pas encore des très bons. Je dis encore parce qu’il en a la possibilité, mais je peux t’en donner trois de buts qu’il prend, et quand un gardien prend ces buts-là, on n’y est pas encore dans le très haut niveau. Il y a un tir de Boudebouz la saison dernière à Montpellier, un tir sur le côté de 30 mètres puisqu’on est en biais. Il y a l’égalisation de Bernardo Silva qui rentre en diagonale et qui frappe où Aréola met 3 jours et demi avant d’aller au sol, et il y en a un, alors là on va dire que je suis sévère, pas de problème, mais avant de dire que je suis sévère, faites-moi le plaisir de regarder le but de Jeannot en début de championnat, quand il reprend du gauche, ce but magnifique. Quand on le voit en biais et qu’on voit Jeannot en train de marquer, tu dis “oh putain, quel but !”, tu applaudis parce que tu penses que le ballon est allé dans un angle, dans une lucarne. Tu te dis “bon, il le refera jamais dans sa vie, mais toujours est-il que là, il l’a fait, bravo”. Mais comme maintenant on a toutes les caméras, une caméra derrière Jeannot et une caméra derrière Aréola, c’est catastrophique ! Ça lui passe au-dessus, il ne fait même pas un geste, c’est un plot, une statue. Je suis désolé, mais au moins qu’il bouge une phalange ! Tu regardes ça, tu prends peur. Il fait même un pas à droite.
MO : A contrario, Stéphane Ruffier joue l’intégralité des matchs de l’AS Saint-Etienne, toutes compétitions confondues, au détriment de Jessy Moulin. Que penses-tu de cette gestion totalement différente de celle d’Emery ? Quelle est ta vision de la gestion des gardiens ?
RC : Je suis pour donner une ou deux carottes au numéro deux. Par contre, je suis contre le fait qu’il puisse être titulaire en Coupe de France ou en Coupe de la Ligue jusqu’à la finale. Je lui donne la carotte, j’observe les performances, je regarde le tirage au sort, je considère que mon numéro un est meilleur que mon numéro deux, je ne vais pas jusqu’au fait de m’affaiblir parce que psychologiquement j’ai envie de faire plaisir au numéro deux. Alors après, on verra la position au classement, mais il est fort possible que s’il y a une finale ou une demi-finale de Coupe de France ou de Coupe de la Ligue, ce soit le numéro un qui reprenne sa place, parce que je pense que j’ai plus de chances de gagner avec le numéro un qui est meilleur que le numéro deux, mais en contrepartie, je pourrai lui donner la possibilité de jouer le match de championnat d’après. Je lui ai retiré sa carotte en demi-finale, je lui rends dans un match de championnat. Je fais ça si j’ai un numéro un qui est nettement supérieur à mon numéro deux, ce qui est le cas dans certains clubs. Mais si j’ai Aréola et Trapp, pour moi je leur mets 5/10 à tous les deux, je laisse Aréola et je ne fais pas chier. Il joue les deux coupes nationales, point barre.
MO : Donc dans le cas Ruffier / Moulin chez les Verts ?
RC : À ce moment-là je préfère faire faire un ou deux matchs à Moulin, mais arrivé un certain moment, vu l’adversaire, je suis désolé… mais je lui dis quand je lui donne les carottes : “il y a de grandes chances que tu joues les matchs de coupes, mais pas la certitude de jouer jusqu’au bout”. Après ça plait, ça plait pas, je suis désolé… et je lui rajoute un cas de figure, parce que je ne veux pas toujours être piégé dans la mauvaise solution. On va quand même essayer de mettre en face de la mauvaise solution la bonne solution. Si, par exemple, je te donne deux carottes et qu’on est éliminés au 1er tour de ces deux carottes, tu vas te faire deux matchs. Et bah là, au lieu de me dire “oh putain coach, si je vais en finale, vous faites jouer l’autre”, je vais te dire que si on se fait éliminer très tôt en Coupe de la Ligue, je te ferais faire des matchs de championnat dans les dix ou douze dernières journées, dès que possible. Je veux quand même essayer d’équilibrer les choses justement et pas injustement, dans les deux sens.
MO : Aujourd’hui, la formation française sort toujours de bons gardiens mais n’est plus aussi influente que par le passé.
RC : Il y a une catégorie en France de faux bons aussi. Si tu me mets Costil dans la catégorie des bons gardiens, je rectifie tout de suite. C’est un gardien moyen. Je ne dis pas mauvais, je dis moyen, par sympathie.
MO : La Coupe du Monde approche à grand pas. Sauf blessure, Hugo Lloris, Steve Mandanda et Alphonse Aréola semblent bien partis pour garder les buts tricolores cet été. Penses-tu qu’un autre gardien français puisse briguer un ticket pour la Russie ?
RC : À une certaine époque, je n’ai pas compris que Carrasso perde sa place. Je crois qu’il avait les qualités et le comportement d’un numéro 3. Costil, je ne le vois pas supérieur à Aréola ou à Ruffier. Bon, Ruffier, c’est un peu lui qui veut plus être sélectionné, sinon je pense qu’il y serait et là, il y a deux-trois gardiens qui mettent le nez à la fenêtre. Je pense notamment à Benjamin Lecomte, de Montpellier, que je trouve très bon dans les anticipations, dans le boulot de gardien et aussi dans les relances. C’est un premier relanceur, je le trouve assez surprenant et précis dans son redémarrage, que ce soit à la main ou au pied. Il y a Reynet aussi, le gardien de Dijon, mais c’est surtout Lecomte que je regarde avec attention. Il a pris un but à la con il n’y a pas longtemps contre Lyon quand le gaucher part, fait semblant de centrer et la met entre lui et son premier poteau. Il vient à Montpellier par défaut parce qu’ils n’arrivent pas à tomber d’accord avec Reynet, le hasard fait bien les choses.
MO : Hugo Lloris est capitaine de l’équipe de France. Confier le brassard au gardien fait souvent débat, quelle est ta position sur le sujet ?
RC : Il y a un truc que je souffre avec Lloris chaque fois : ne m’envoyez pas le gardien la veille ou l’avant-veille d’un match en conférence de presse ; des conférences de presse avec des questions parfois difficiles selon le contexte du match, des questions difficiles sur un coéquipier qui n’est pas en forme et tout… laissez-moi Lloris dans sa chambre ! Le lendemain, s’il fait une couille ou quoi, je ne dis pas que ça sera à cause de la conférence de presse, mais j’aurai un doute quand même. Donc laissez-moi tranquille, et pour ne pas avoir de doute, je mets un joueur de champ et je laisse mon gardien se préparer avec son entraîneur, avec ses habitudes, avec sa couleur de maillot qui n’est pas la même que celle de ses coéquipiers, avec ses gants, et je ne vais pas l’appeler en conférence de presse.
MO : On parle beaucoup des chocs dans les duels entre attaquants et gardiens, notamment d’Anthony Lopes après sa sortie face à Mbappé. Dans certaines situations, le gardien doit sortir pour remplir sa mission au risque d’aller au carton, car ne pas sortir serait une erreur et pourrait coûter un but au collectif. Quelle est ton opinion sur le sujet ?
RC : Sortir fait partie des qualités et des possibilités que le gardien a, donc il doit en profiter, mais ce n’est pas pour autant que tu dois sortir de façon dangereuse. J’ai l’impression que Lopes ne se sert pas d’une arme dont les gardiens ont le droit de se servir, c’est à dire le cri. Un gardien doit se servir d’un cri, mais d’un cri très fort. A défaut de lui casser la tronche et de faire une fracture à l’attaquant, il doit lui exploser les tympans et à ce moment-là, il va rentrer sa tête dans les épaules et toi, tu auras réussi ta sortie. Tu auras réussi le commentaire de ta sortie. Et en plus de ça, quand tu sors et tu passes au travers comme ça peut arriver – il n’y a que ceux qui ne sortent pas qui ne passent pas à travers – mais rien que d’avoir entendu le cri, l’attaquant s’est arrêté, il se protège du bras, il rentre la tête dans les épaules, et si tu passes à travers, bah lui aussi, mais si tu ne cries pas, derrière ça, il t’ajuste. Ça, je n’ai pas l’impression que Lopes s’en serve beaucoup.
MO : Tu évoquais Mickaël Landreau tout à l’heure. Vos relations n’ont pas toujours été au beau fixe. Qu’en est-il ?
RC : J’ai eu le plaisir de lui expliquer le pourquoi. Pour moi, on ne tente pas une panenka à un collègue de profession dans une solidarité de gardiens de but (face à Teddy Richert, en finale de la Coupe de la Ligue 2004, ndlr). C’est vouloir le ridiculiser et je ne suis pas d’accord. Et puis cette même année, il fait un article sur France Football où là il assassine carrément un ancien coéquipier à lui, Amisse, qui est entraîneur. Il le tue en disant qu’il n’a pas le niveau et tout, ça fait beaucoup quand même. Tu as du cul quand même d’avoir tes coéquipiers tous sympas, parce que moi, tu me fais perdre cette finale en ratant un penalty, y a pas de problème. Mais tu me fais perdre cette finale en ratant un penalty parce que tu as tiré à la Panenka, je t’étrangle, et la prime, tu me la payes !
MO : Comment analyses-tu ses débuts sur le banc lorientais et, in extenso, penses-tu qu’un gardien puisse être un bon entraîneur ?
RC : Il peut faire un bon entraîneur quand même, ce n’est pas interdit, mais je pense qu’au départ, il est handicapé quand même. C’est comme le brassard, chacun sa vision. Moi je suis contre le gardien capitaine. C’est pas que je pense pas qu’il le mérite, mais il est loin de l’action.
MO : Tu t’es au fil du temps construit une réputation d’expert des penaltys, lors des séances de tirs au but notamment. Quel est ton secret ?
RC : Expert des penaltys, je ne sais pas… Bon, j’ai un peu l’habitude pour arriver à deviner s’il va y avoir pied ouvert ou pied fermé ou tape en force. Ça m’a toujours passionné, donc je me permets quand même, pour un gardien que j’aime bien, de lui donner quelques petits détails. Non pas pour qu’il arrête tous les penaltys, mais pour qu’il augmente les chances de les arrêter et que ce soit donc plus compliqué de lui marquer un penalty. Mais ça je ne pourrais pas te dire quoi, parce que c’est quand même des petits secrets que je garde pour moi.
MO : Un petit indice ?
RC : Dans un penalty, le seul truc que je peux rajouter, c’est qu’il y a certains tireurs différents, mais la chose qu’il faut quand même bien se mettre dans la tête avant un penalty, c’est que le plus emmerdé des deux, c’est celui qui le tire. Le gardien, le seul truc qu’il peut faire, c’est un exploit. Et là, je me suis aperçu de quelques petites choses, un peu par moi-même, un peu en discutant avec les uns et les autres, je suis arrivé à faire une synthèse qui peut donner une recette. À condition que je l’utilise confidentiellement car si je donne cette recette à un interview, elle ne va plus exister, ce ne sera plus un bon plat.
MO : Les gardiens usent aussi de divers subterfuges pour déconcentrer ou influencer le tireur.
RC : Il y a quand même un truc que nous ne contestons pas assez pour moi, c’est le nombre de penaltys arrêtés ou manqués face à un gardien qui monte d’un mètre devant sa ligne, chose qu’il n’a pas le droit de faire. Le nombre de fois que j’ai vu, sur les deux dernières années, des gardiens arrêter un penalty du pied ou faire rater le penalty au tireur parce qu’il sort alors qu’il n’a pas le droit… Au lieu de refuser bêtement les penaltys parce qu’il y a deux – trois joueurs qui sont rentrés d’un mètre dans la surface de réparation… Ça a toujours été pour moi insupportable si le penalty a été marqué, parce que, putain de merde, je veux bien qu’on débatte et qu’on soit pas d’accord sur de tas de choses, mais si par exemple j’ai un penalty : je bénéficie d’un penalty. Je le tire et je le marque. Eh bah y a but ! Tu me le fais retirer, pourquoi ? Pour que je le rate, con que tu es ? J’ai bénéficié d’un penalty, je l’ai marqué, donc j’ai atteint le bénéfice. Tu me le donnes pour que je le marque. Quand tu me siffles un penalty, tu ne me le donnes pas pour que je le rate ? Et toi tu veux que je le rate si tu me le fais refaire ?
MO : Près d’un tiers des penaltys en séance sont frappés dans l’axe. En restant dans l’axe, le gardien aurait donc de fortes chances d’en sortir au moins un, ce qu’avait d’ailleurs tenté Oblak en finale de Ligue des Champions face au Real Madrid. Le savais-tu ?
RC : Je ne conteste pas, mais je précise : est-ce que le fait de frapper au centre est une stratégie ou est-ce un penalty frappé en force et à demi-raté ? Frapper dans un angle, c’est plus facile que de le frapper en force. En force, quand tu cadres, tu as de grandes chances de frapper soit dans l’axe, soit à portée de bras du gardien. Mais comme tu frappes en force, tu peux penser que le gardien n’a pas le temps de l’arrêter.
Si c’est une stratégie de frapper en force plein axe, c’est une panenka en force. La panenka, ce n’est pas seulement pour ridiculiser le gardien, c’est considérer qu’il part à droite ou à gauche comme ça. Ce serait con quand même de tirer un penalty dans la tronche d’un gardien qui ne fait pas semblant de l’arrêter, et toi avec des buts de 7m32, tu t’es démerdé pour lui tirer dans la tronche ou dans l’épaule, c’est quand même un peu con. Donc là, c’est une panenka en force. Ettorri pensait que le droitier fermait le pied plus souvent que ce qu’il ne l’ouvrait.
MO : Un dernier mot pour MO ?
RC : J’espère qu’un jour vous serez suffisamment influents et suffisamment importants pour arriver à faire changer ce que j’appelle des mauvaises habitudes, et ne plus voir le gardien dans le même Ballon d’Or que les joueurs de champ et qu’on est au moins deux Ballons d’Or : un pour le gardien, qu’on pourrait appelé le Gant d’Or, et laissons le Ballon d’Or pour les joueurs de champ, et même dans les joueurs de champ, je pense qu’il devrait y avoir un Ballon d’Or offensif et un autre défensif. Je ne vais pas jusqu’à en mettre pour les onze postes, mais quand on veut comparer Maradona avec Buffon, il faudra qu’on m’explique comment on fait pour voter.
LES PENOS DE MO
MO : Qui est selon toi le meilleur gardien de Ligue 1 ?
RC : J’en ai deux : Mandanda et Tatarusanu. Mandanda, il prend ce but à la con contre Lyon, mais quand il n’est pas là, là on s’aperçoit qu’il est bon. Il brille par son absence.
MO : Un arrêt qui t’a marqué ?
RC : L’arrêt de Barthez face à Ronaldo à bout portant, quand il la bloque sans la relâcher. J’ai regardé ça, j’ai dit “ce n’est pas possible”. Je ne dis pas que j’en ai pas vu des plus beaux, mais celui-là, c’est une finale de Coupe du Monde, c’est France – Brésil, la France qui n’a jamais gagné la Coupe du Monde et là tu vois que ça va faire comme OM – Milan 93, tu te dis “Barthez ce soir-là, y a personne qui lui met un but”.
MO : Un gardien qui t’a déçu ?
RC : La panenka de Landreau. Pas Landreau le gardien, mais le geste à l’instant T.
MO : Quel gardien aurais-tu aimé recruter ?
RC : Barthez, quand j’étais à Marseille. On aurait été champion les doigts dans le nez.
MO : Si tu avais été gardien, qui aurais-tu voulu être ?
RC : Gordon Banks, celui qui a arrêté le but de Pelé.
Toute l’équipe de Main Opposée remercie chaleureusement Rolland Courbis pour sa disponibilité et sa sympathie au cours de cet entretien.